Deux ans et demi après être devenu une émission à part entière, le Petit Journal de Yann Barthès présente un bilan décevant.
Malgré une année 2012 marquée par des élections et une foule de scandales, dérapages et autres couacs médiatiques, le Petit Journal n’a pas réussi à empêcher la lente érosion de son audimat. En janvier 2013, l’émission est ainsi passée sous la barre symbolique des 5%.

En regardant cette émission, il est difficile de ne pas avoir la désagréable sensation qu’ils essayent d’en faire trop, mais qu’au final ils n’en font pas assez. En somme, une impression de gâchis.

Les audiences du Petit Journal ont connu une baisse.

Les audiences du Petit Journal ont connu une baisse.

Des débuts prometteurs

Pourtant, ça avait l’air d’être bien parti : tous les éléments étaient là pour en faire un Daily Show à la française. De nombreuses séquences du Petit Journal sont même déjà entrées dans l’histoire de la télévision française : le bref moment de gloire de l’inoubliable Cindy Sander, Jacques Chirac se faisant réprimander d’un simple regard par Bernadette alors qu’il essaye de dragouiller une blonde pulpeuse, Nicolas Sarkozy qui ressort plusieurs fois le même discours à des agriculteurs, François Bayrou montant dans une Mercedes après avoir fait l’éloge du Made in France, Martine Aubry incapable de citer la moindre chanson de Kool Shen après avoir juré ( dans un insurmontable effort de paraître cool et chébran ) être fan du rappeur, sans oublier ce valeureux fan de Snoop Dogg

En plus d’apporter un vent de fraîcheur sur Canal +, l’arrivée de ce trublion télévisuel a eu le mérite de remettre en cause le formatage de l’information pratiqué par toutes les chaînes de télévision.
Car le Petit Journal ce n’est pas uniquement un trentenaire désabusé au look faussement négligé qui se moque des réactions hystériques de gamines fans de Justin Bieber ou de Tokio Hotel, c’est surtout l’émission de décryptage médiatique la plus populaire de France.

Comment l’émission qui a réussi à ringardiser les Guignols de l’Info, à bouleverser les pratiques communicationnelles des puissants, et à s’imposer en tant que rendez-vous incontournable du cirque politico-médiatique a pu en arriver là ?

 

 La rupture du pacte journalistique

La première raison que nous pourrions avancer est le problème de la véracité et du détournement de la matière première du Petit Journal : les images.
En effet, à cause de son succès grandissant, il semblerait que l’équipe du Petit Journal se soit mis à prendre de plus en plus de libertés avec les règles les plus élémentaires du journalisme : Daniel Schneidermann va même jusqu’à parler de « rupture de pacte ».

A mon sens, l’un des pires exemples de cette évolution est celui du reportage sur les conditions dans lesquelles furent prises les premières photos de Giulia Sarkozy.
Je dois admettre que je m’étais bien amusé en 2011, lorsque j’avais vu ce reportage du Petit Journal montrant comment Nicolas Sarkozy et Carla Bruni se sont fait prendre en photo avec leur bébé à proximité de la résidence de La Lanterne, alors qu’ils avaient juré qu’ils n’exposeraient jamais leur enfant. Qu’est-ce qu’ils étaient drôles ces journalistes de Canal + à refaire la promenade du couple présidentiel, avec un micro dans les bras en guise de bébé !

Je me suis beaucoup moins marré lorsque j’ai appris que le reportage était complètement bidonné.

Je veux bien comprendre que la réalisation et le montage d’un reportage de télévision puissent, dans une certaine mesure, déformer la réalité : cela fait partie des limites du genre. Par contre, le fait de falsifier des photos satellites montrant comment est configurée la ville de Versailles, dans le but d’appuyer le propos du reportage, est tout bonnement scandaleux.
Comment peut-on alors faire confiance à une équipe de journalistes qui poussent le vice jusqu’à malmener la réalité géographique la plus concrète qui soit ?
Cela laisse songeur.

Ainsi, le soir, lorsque je m’installe confortablement dans mon canapé pour regarder le Petit Journal, qui me dit que cet énième reportage sur les opposants au mariage pour tous n’essaye pas de me manipuler, comme le fit ce reportage de 2012 dans lequel des militants de Debout la République étaient prétendument interrogés après un meeting sur le programme de Nicolas Dupont-Aignant, alors que les images avaient été tournées avant la rencontre ? Ou que cette « séquence magnéto » censée me montrer comment un homme politique a réutilisé le même discours plusieurs fois d’affilée, n’est pas une autre tromperie comme celle de septembre dernier lorsque Jean-Marc Ayrault avait été accusé, à tort, de plagier un discours de François Hollande ?

Le Petit Journal ne montre plus le risible : il le provoque ou le fabrique.

 

Information ou divertissement?

Certains diront que ce n’est pas bien grave, que ce n’est qu’une émission de divertissement, que toutes les chaînes d’info font des erreurs comparables ( lorsqu’elles ne prennent pas tout simplement leurs téléspectateurs pour des imbéciles ) …

Oui mais voilà, il s’agit du Petit Journal. Il s’agit d’une émission regardée tous les soirs par près d’un million et demi de personnes, une émission que les gens regardent car ils en ont assez d’être pris par des imbéciles par les politiciens et les journalistes.

Mais n’oublions pas non plus qu’il s’agit d’un programme de divertissement.
Et c’est bien là que le bât blesse : on ne se sent pas obligé de réfléchir devant le Petit Journal.

Lorsque l’on regarde un débat ou un discours à la télévision, on essaye de rester concentré, de conserver son esprit critique, de ne pas se laisser tromper par celui qui parle.
Mais lorsque l’on regarde le Petit Journal, on est là pour se détendre, se moquer des puissants, glousser et ricaner de concert avec l’animateur.
Notre cerveau n’est pas seulement disponible, il est au repos et a abaissé sa garde.
Après tout, comment peut-on se méfier de ceux qui viennent de nous démontrer, souvent avec brio, comment les médias et les politiciens essayent de nous enfumer ?

Le Petit Journal mêle information et divertissement: ses journalistes participent aussi à des sketchs.

Le Petit Journal mêle information et divertissement: ses journalistes participent aussi à des sketchs.

C’est notamment pour cette raison que la Commission de la Carte d’Identité des Journalistes Professionnels a décidé, en juin 2012, de ne pas renouveler les cartes de six des douze journalistes du Petit Journal.
Le président de la CCIJP, Eric Marquis a ainsi déclaré : « Je note que le Petit journal est dans la rubrique divertissement sur le site de Canal +, tout comme le Grand Journal d’ailleurs. (…) Je suis assez réservé sur le mélange des genres, assez réticent au concept d’infotainment ».

Ce n’est pas la première fois que le Petit Journal est critiqué sur le fait que ce qu’il propose à ses téléspectateurs n’est qu’un fallacieux mélange d’information et de divertissement. Mais peut-on leur en vouloir sur ce point là ? L’infotainment n’est-il pas en train de devenir une tendance de fond ?
Après tout, même les chaînes d’info en continu propose des « alertes info » évoquant des sujets aussi triviaux que le transfert d’un footballeur ou le dernier accident vasculaire de Johnny.
Mais présenter une information futile ( ou une information sérieuse de manière légère ) reste moins grave que présenter de fausses informations.

 

Le problème de l’humour

L’autre grand problème du Petit Journal est la baisse significative de son humour.
Déjà en 2011 on avait reproché au programme d’avoir dilué son humour après être passé du statut de sympathique pastille télévisuelle à celui d’une émission d’une vingtaine de minutes ( ce qui est déjà long pour un programme comique, et encore plus long pour des téléspectateurs dont Internet a sapé la patience ).
En s’allongeant, le Petit Journal a perdu le rythme rapide et le caractère primesautier qui firent son succès.
Yann Barthès peut-être drôle lorsqu’il commente des séquences d’images qui s’enchaînent. Par contre il l’est beaucoup moins lorsqu’il s’agit de se prêter à des formes plus lentes, comme celle de l’interview. Les interviews qu’il mène sur son plateau étant déjà fort légères ( lorsqu’elles ne sont pas creuses et inintéressantes ), leur lenteur peut les transformer en véritable supplice.

Un autre facteur de lenteur, et donc d’ennui, est la réalisation à la truelle des sketchs faits maison par l’équipe du Petit Journal. C’est vrai que dans une certaine mesure ces sketchs dans lesquels les journalistes de l’émission se mettent en scène peuvent être amusants : leur côté artisanal, le recours à des perruques ridicules et leur humour potache leur donnent un air sympathique.

Charlotte Le Bon

Charlotte Le Bon

Mais malheureusement, sympathique n’est pas synonyme de drôle. Aussi triste que cela puisse paraître, les écoles de journalisme ne sont pas des écoles du rire. On ne peut confier l’écriture et la réalisation de sketchs comiques à des journalistes qui semblent n’y connaître rien du tout. Il est quand même dommage que, sur la chaîne des Nuls, des Guignols et de Groland, le Petit Journal ne soit pas doté de sa propre équipe d’auteurs et de comédiens professionnels ( Charlotte Le Bon peut être marrante, mais elle ne compte pas vraiment ).

 

L’exemple américain

A cet égard, le contre-exemple du Daily Show de Jon Stewart ( dont certains épisodes furent diffusés à une époque sur Canal + ) est assez éloquent.
Cette émission américaine , qui bien que diffusée sur Comedy Central a reçu deux prix Peabody, est présentée par un comédien accompli qui réussit à être drôle de bout en bout.
A l’instar de Steve Carell qui y fit ses débuts, tous ses chroniqueurs sont des comédiens professionnels issus de la scène new-yorkaise. Et aussi surprenant que cela puisse paraître, ces comédiens réussissent à faire des reportages aussi hilarants que pertinents.

John Stewart

Jon Stewart

Qu’est-ce que le Petit Journal attend pour suivre leur exemple ? On parle quand même d’une émission de Canal +, et non d’IDF1 ( mais si, voyons, c’est la 32 sur la TNT ), ils sont censés avoir les moyens. Alors au lieu de financer un second numéro du désastreux Grand Débarquement, Canal + ferait peut-être mieux d’investir davantage dans le Petit Journal, car il serait dommage de laisser s’abîmer une si belle émission : il est temps pour le Petit Journal de grandir.

Arnaud Salvat