De Chantal Akerman (cinéaste belge) à Kijû Yoshida (réalisateur japonais), Jacques Sicard nous ouvre les portes de son journal intime où se joue l’alphabet de « son » cinéma. Ses Films en proses (c’est le titre du livre) autrement baptisés « ciné-poèmes » sont autant de traverses à la marge du film, quand l’image en appelle d’autres pour soutenir une vision qui, plus que critique, plonge et se perd dans le prolongement du film, dans le rapport secret qu’il entretient avec le spectateur. Il faut alors aller chercher au-delà de l’histoire du film, sinon en deçà, dans le jeu des regards, dans l’ombre du décor et prolonger la magie du hors champ. Avec un joli sens du détour et une écriture aussi érudite que poétique, l’alchimie entre les mots et les images se tisse au fil des pages. Se produit peu à peu, au creuset de l’intime,  l’accroissement de la toile. Décidément, une bien jolie rencontre !

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Le cinéma c’est généralement vingt-quatre images à la seconde. On a connu seize, on a entrevu quarante-huit… Toujours plus d’images pour toujours plus de fluidité. En poésie, c’est un peu plus compliqué. Pas question de revenir sur la définition d’une métaphore, les images en poésie peuvent se cacher derrière chaque mot. A chacun ensuite de suivre son petit bonhomme de chemin et de laisser opérer le miracle des rencontres. Brialy écrivait dans Le Ruisseau des singes « Le cinéma a cette vertu de combler votre curiosité, par toutes sortes de rencontres qui peuvent transformer votre vie. »

Ma rencontre avec l’auteur est arrivée par l’intermédiaire d’Anne Mounic pour la poésie et Michelangelo Antonioni pour le cinéma. C’était le 10 mars 2009. Elle me laissait charmé, aux portes de ma propre passion dans les méandres du Désert rouge :

Quand, avec Antonioni, plus rien ne nous chante – ne reste que la cité radieuse, la ville évacuée de son habitant, zone nue enfin purgée de son conservatisme de mouvement – c’est-à-dire, une fois la vivante baudruche crevée, un point-fenêtre, une ligne-rue, un plan-maison – l’abscisse et l’ordonnée des usines et des riblons – équilibre et cohésion de l’épure assurés par un film ardent de résine automnale.

Quand, après l’automne en esprit, dès le premier jour de septembre, puis l’automne dans le mot, au moment de l’équinoxe, vient l’automne dans les faits, saison tant aimée, tout solide devenant figure et le peu de volume restant des traits croisés, un coup de pilon de peintre l’autre, réduit en poudre rouge – couleur latente du désert – miracle de monde.

J’avais là un complice, de cette étrange complicité d’avoir connu un soir de joie la même fille de pluie. Paradoxalement (l’adverbe fait référence aux fréquentations) se rencontrer en poésie c’est peut-être plus facile que de se rencontrer au cinéma. Il y fait noir et les gens ne tarderont pas à exprimer leur mécontentement si vous faites trop de bruit. Tous deux pourtant sont un monde de silences brisés. Même le muet était accompagné d’une partition… Je parcours l’un et l’autre avec plus ou moins de fidélité ainsi ce ne fut guère une surprise de croiser un jour ce semblable, à l’intersection de ces deux sentiers. Si surprise il y a c’est qu’il ait fallu attendre si longtemps avant d’apprendre qu’il sortait enfin un livre. C’est aujourd’hui chose faite.

Matthieu Conzales

Photo: M.C

Jacques Sicard – Films en prose, sorti le 15 avril 2013 aux éditions La Barque. 208 pages. 25 euros.