Le film « The Big Short, le casse du siècle », réalisé par Adam McKay est adapté du livre à succès de Michael Lewis, The Big Short : Inside the Doomsday Machine.

CC By Rayukk

CC By Rayukk

 

Dans ce film, plusieurs personnages sont présentés, avec des trajectoires diverses mais un point commun : ils ont tous spéculé contre le marché, pariant sur la baisse des subprimes. Mais ces différents personnages ne sont pas de pures fictions : Brad Pitt, Ryan Gosling, Christian Bales, Steve Carell et les autres acteurs interprètent les vies respectives de Ben Rickert, Jared Vennett, Michael Burry, Mark Baum et bien d’autres… Si leurs noms ne sont pas connus du grand public, ils ont bel et bien contribué à la crise des subprimes, chacun à sa manière, comme le montre bien le film.

Adam McKay, le réalisateur du film (By Red Carpet Report on Mingle Media TV - creative commons)

Adam McKay, le réalisateur du film (By Red Carpet Report on Mingle Media TV – creative commons)

De la réalité à la fiction

L’écrivain et le réalisateur l’affirme, tout ou presque est vrai. D’ailleurs, la réalisation ne laisse aucune place au doute, affirmant être une reconstitution scénarisée. Il y a par exemple des interventions des personnages face caméra, s’adressant aux spectateurs, non sans humour, qui donne à ce film une allure de documentaire. Pour ce qui est des protagonistes, certains ont le même nom que dans la réalité, à l’instar de Michael Burry, joué par Christian Bale. Les autres ont un nom d’emprunt : Ben Hockett devient Ben Rickert, Greg Lippmann, qui n’a pas voulu que son nom apparaisse, se transforme en Jared Vennett… Pseudonyme ou non, il semble que le film reprenne assez fidèlement leur parcours. Mais qui sont ces hommes qui ont fait basculer le système financier ?

Ben Rickert, interprété par Brad Pitt - image issue de la bande annonce officielle de The Big Short

Ben Rickert, interprété par Brad Pitt – image issue de la bande annonce officielle de The Big Short

Michael Burry était un manager de hedge fund (des fonds d’investissement), docteur en neurologie, qui a prévu la bulle spéculative et donc l’effondrement du marché avec quelques années d’avance. Dans le film, il apparaît comme un génie incompris, un peu asocial sur les bords ; dans les faits, personne ne comprend effectivement ses décisions, ses achats de Credit Default Swap (CDS, qui fonctionnent comme des assurances en cas de crédits impayés). En effet, avant que la bulle n’éclate, les crédits subprimes, qui étaient des crédits destinés le plus souvent à acquérir un logement, étaient considérés comme parfaitement sûrs, gratifiés d’un triple A par les agences de notation. Michael Burry s’est intéressé à ces crédits, en apparence si sûrs, et s’est rendu compte de leur instabilité. En effet, les crédits subprimes, destinés à une clientèle peu fortunée, les NINJA (no income, no job, no asset : sans revenu, sans travail, sans garantie), sont à la base de la crise de 2008. Aux États-Unis, l’endettement n’est pas considéré comme un problème majeur et les taux d’intérêt de ces crédits étant très attractifs, beaucoup de crédits subprimes ont été souscrit. Mais ils étaient à taux variable : après environ 2 ans, les taux d’intérêt s’élevaient considérablement et les ménages avaient alors du mal à rembourser, se trouvant même parfois dans l’incapacité de le faire. Michael Burry ayant repéré cette faille, il a tenté de contrer le marché en investissant dans des CDS. Sa stratégie était de se prémunir contre la faillite de ces crédits alors que le marché allait bon train, afin toucher une énorme plus-value lors des défauts de paiement. Cependant, cette attitude visionnaire n’a pas convaincu ses clients qui ont pris peur et ont voulu récupérer leurs fonds, mettant donc en difficulté Michael Burry qui ne pouvait pas leur rendre leur argent sur le moment. Hervé Bonin, professeur émérite à Sciences Po Bordeaux et membre du centre de recherche Gretha, explique qu’«il y a une logique de graphique chez les analystes». Les chiffres et les courbes, fournis par des agences comme Bloomberg ou des cours privés, défilent. Analyser les chiffres et les données comme le fait le manager de hedge fund est essentiel : l’objectif étant le profit à court terme. Finalement, lorsque la bulle éclate, Michael Burry empoche une jolie somme, estimée à 100 millions de dollars.

Greg Lippmann, alias Jared Vennett, travaillait effectivement pour une banque : il était trader à la Deutsche Bank. Il contribua lui aussi à la perte du système bancaire, en pariant sur la faillite des crédits que les banques –dont la sienne- possédaient. Corynne Jaffeux, professeur à l’université et l’IAE de Bordeaux, rappelle qu’en fait, les banques commerciales ont pu recommencer, dans les années 1980-90, à faire les mêmes activités que les banques d’investissement. Ensuite, les « banques ne pouvaient plus ou ne souhaitaient plus se prêter entre elles » : la crise de confiance a engendré une crise interbancaire. Dominique Strauss-Kahn avait alors déclaré qu’il fallait créer les conditions pour que les banques puissent faire faillite, l’objectif étant d’éviter tout risque systémique.

Jared Vennett rencontre le gestionnaire de fonds spéculatif, Mark Baum, et son équipe.Image du film par BagoGames (Flickr)

Jared Vennett rencontre le gestionnaire de fonds spéculatif, Mark Baum, et son équipe.
Image du film par BagoGames (Flickr)

Le travail de Steve Eisman était de spéculer, et il a donc cherché à tirer un maximum de profit de cette bulle spéculative. Mais, le film le montre, son parcours est semé d’embûches. Il veut court-circuiter Wall Street, mais sait que les conséquences de son pari pourraient être dramatiques. Elles l’ont été : des ménages se sont appauvris au point de ne pas pouvoir payer leur crédit, d’autant que le marché immobilier baissait, faisant donc chuter la valeur de leur bien. Aux États-Unis, la faillite individuelle existe et certains ménages y ont eu recours pendant la crise : la banque saisissait alors leur logement et ils se retrouvaient parfois à la rue. En outre, il y a eu une crise de défiance : les ménages ont alors moins consommé, ce qui n’a pas été une bonne chose pour l’activité économique, comme l’expliquent de nombreux experts, notamment Alexis Trémoulinas dans son ouvrage Comprendre la crise. Il y a alors eu une montée du chômage, notamment en Espagne où la crise a eu des effets considérables. En effet, avec le dynamisme économique, beaucoup de constructions avaient été entreprises dans ce pays, mais n’ont pas pu être remboursées à cause de l’éclatement de la bulle spéculative.

Il faut noter que cette correspondance entre le film et la réalité a réellement été recherchée. D’ailleurs, Greg Lippman et Steve Eisman ont conseillé les acteurs, parfois même sur les plateaux. Alors si certains traits sont exagérés –du moins, on espère pour l’entourage de Steve Eisman -, la fiction reste relativement fidèle à la réalité. Toutefois, le film est loin d’être exhaustif, car tout se passe à New-York alors le marché des produits dérivés était très actif à Londres. De plus, Lehman Brother, énorme banque d’investissement dont la faillite a eu des conséquences dramatique sur les risques systémiques de la crise, avait un siège à Londres. La crise initialement américaine s’est très vite propagée au reste du monde : Corynne Jaffeux utilise l’image d’une «contagion du système bancaire» au reste du système.

Lehman Brothers Rockefeller center - by David Shankbone (CC)

Lehman Brothers Rockefeller center – by David Shankbone (CC)

Un regard critique de la crise

Le film, par son humour souvent très ironique, dénote bien une analyse critique de la crise, et même en pointe l’aspect irrationnel. En effet, il explique de manière ludique la titrisation avec les sigles barbares comme CDS, CDO, mais prend le parti de montrer à quel point le système peut être pourri, comme notamment avec le cas des agences de notation. Ces dernières ont accordé des AAA aux subprimes tout en sachant qu’ils étaient peu fiables. Il faut donc prendre un peu de recul, car le film est résolument engagé. Ben Rickert, ancien de Wall Street devenu un peu marginal, n’hésite que très peu avant de remettre le pied à l’étrier pour court-circuiter le système (to short it). Hervé Bonin analyse ce personnage comme la promotion de l’anti héro, suivant un code de l’honneur, des valeurs : il remet la notion de progrès en cause. Jared Vennett, lui, est dépeint un homme vénal et apparemment prêt à tout pour gagner de l’argent. Ces individus renforcent l’image que l’on peut avoir du monde de la finance : infesté de requins.

Les conséquences sociales ont été lourdes : un mouvement d’indignation s’est développé aux États-Unis face au chômage, aux problèmes sociaux. D’ailleurs la fin du film (pas de spoiler) appuie sur les conséquences de cette crise, donnant également des indications sur la vie actuelle des personnages, mais semble assez pessimiste pour l’avenir. Pourtant, comme le rappelle Corynne Jaffeux, la FED et  la BCE ont réagi très vite après la crise. La première, dirigée à l’époque par Bernanke, économiste de formation, a demandé des financements auprès du Congrès, à hauteur de 100 milliards de dollars.  Néanmoins, soupçonner la venue d’une nouvelle crise ne semble pas si saugrenu selon plusieurs économistes. Edouard Tétreau affirme que la crise de 2008 n’a pas marqué les esprits et que Wall Street n’est toujours pas contrôlé, régulé, contrairement à ce que demandait Barack Obama. A une échelle plus globale, Hervé Bonin explique que l’Europe n’est pas encore sortie de la crise, et que de plus, la Chine est en crise : les banques chinoises portent à bout de bras des crédits à des entreprises privées (comme les énormes centres commerciaux) et publiques. Or dans notre économie mondialisée, si le système chinois s’effondre, tout le reste peut s’effondrer. Plusieurs de centaines de milliards de dollars sont en jeux. D’autre part, Corynne Jaffeux explique qu’il y a beaucoup trop de liquidités dans le monde, dans la mesure où leur injection ne permet pas de relancer l’économie, malgré les conditions favorables (faible inflation, faible prix du baril). Néanmoins, selon elle, une faillite des banques est peu probable, et elle refuse le pessimisme et la nostalgie du passé qui ne ferait qu’approfondir la crise.

Si vous voulez en savoir plus sur ces experts qui prévoient une nouvelle crise : http://www.businessbourse.com/2015/08/12/9-experts-financiers-avertissent-de-limminence-dune-grande-crise-financiere/

 

Les interviews de deux professeurs ont permis de rédiger cet article :

Corynne Jaffeux, professeur à l’université et l’IAE de Bordeaux

Hervé Bonin, professeur émérite à Sciences Po Bordeaux et membre du centre de recherche Gretha

 

 Mathilde Piriou-Guillaume