Charlotte Delbo  aurait eu 100 ans le 10 aout 2013. Figure majeure de la résistance et de la littérature française, elle reste pourtant une femme trop peu connue.

Le tatouage reste sur son bras. (Photo: Eric Schwab)

Survivant d’Auschwitz, Charlotte Delbo porte le numéro 31661 tatoué sur le bras.                        (Photo: Eric Schwab)

Enfant d’immigrés italiens, étudiante en philosophie et membre des Jeunesses communistes puis de l’Union des jeunes filles de France, elle rencontre en 1937 Louis Jouvet dans le cadre d’une interview pour un journal étudiant. Elle ne le quittera plus et deviendra alors son assistante. En 1941, elle rejoint la résistance clandestine et intègre le groupe « Politzer ». Arrêtée en 1942 avec son mari (qui, lui, est fusillé) par les Brigades spéciales, elle est dirigée vers le camp d’Auschwitz par le fameux convoi du 24 janvier 1943, le seul convoi de déportées politiques françaises envoyées à Auschwitz. Beaucoup d’entre elles sont des communistes.

Survivante d’Auschwitz, elle porte pour le reste de ses jours le numéro 31661 tatoué sur le bras, comme un rappel incessant de son voyage en enfer. Louis Jouvet ne l’a jamais quittée non plus. Dès 1945, elle le retrouve et reprend son travail auprès de lui, comme après un long voyage. Si Charlotte Delbo a survécu, elle dit le devoir aux poèmes et aux pièces de théâtre qu’elle tente inexorablement de se remémorer, comme pour se donner une tâche à accomplir. C’est un incroyable travail de mémoire qu’elle accomplit. Elle arrive à se remémorer près d’une cinquantaine de poèmes et quelques pièces de théâtre dont Le Misanthrope et Ondine.

Des écrits marqués par l’expérience d’Auschwitz

Mais elle commence également sa propre œuvre, sans cesse traversée par le fantôme d’Auschwitz, et de ceux qui n’en sont pas revenus.

Quelque temps après son retour en France, elle se met à la rédaction d’Aucun de nous ne reviendra, reprise d’un vers de Guillaume Apollinaire. Elle avait nourri l’idée que si elle survivait des camps, il faudrait à tout prix qu’elle dédie sa plume à celles qui y étaient restées, ce qu’elle fait avec ce livre. Pourtant, elle ne le proposera aux maisons d’édition que vingt ans plus tard.

Une de ses œuvre les plus remarquables est sans doute celle intitulée Spectres mes compagnons, publiée en 1975. Sous la forme d’une lettre inachevée destinée à Louis Jouvet, elle y fait revivre les personnages de théâtre tout au long de son « voyage » vers le camp d’Auschwitz. Elle y rencontre notamment le personnage d’Alceste, en route vers le désert, ce désert où, dit il « l’homme détruit l’humanité ». Elle se demande où est passé Rodrigue, lui qui combat pour l’honneur, elle se questionne : les fées de Shakespeare l’auraient-elles abandonné à son sort ?

C’est une femme d’exception, dont les malheurs n’ont jamais altéré l’engagement politique, dont les souffrances n’auront pas suffi à briser la plume qui est célébrée cette année. L’occasion pour tous de la découvrir ou de la redécouvrir. L’occasion, surtout, de lui rendre l’hommage qu’elle mérite.

Inès Senaoui