Sorti dans les salles françaises le 4 mars 2015, le film  Citizenfour de la réalisatrice américaine Laura Poitras a obtenu plusieurs récompenses, dont un BAFTA et l’Oscar du meilleur film documentaire.

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Citizenfour, tel est le pseudonyme que prend l’analyste Edward Snowden quand il contacte pour la première fois la journaliste américaine Laura Poitras, en janvier 2013. Il lui explique vouloir révéler les pratiques de surveillance de la NSA, ainsi que d’autres agences de renseignement américaines ou de pays collaborant avec les États-Unis en matière de renseignement électronique.

Quelques mois plus tard, Laura Poitras, accompagnée des journalistes Glenn Greenwald et Ewen MacAskill, rencontre Edward Snowden dans un hôtel à Hong Kong. La caméra de la journaliste filme ces rencontres ainsi qu’un certain nombre d’épisodes de ce qui sera bientôt décrit comme l’affaire Snowden.

 

Un documentaire proche du thriller

De Hong Kong à Moscou, de Londres à Berlin, des États-Unis au Brésil, le documentaire montre les différentes étapes de la révélation des pratiques d’interception à grande échelle mises en place par les services de renseignement électroniques américains, la NSA en tête. Les images tournées par la réalisatrice elle-même sont entrecoupées d’archives, d’extraits de conversations par messagerie électronique entre les différents protagonistes de l’affaire.

 

 

Le spectateur se trouve alors plongé dans un documentaire proche du thriller, un thriller dont l’intrigue se trouve à mi-chemin entre l’œuvre d’Orwell et celle de Le Carré – un journaliste entendu dans le documentaire fait justement référence à ce dernier, grand auteur britannique de romans d’espionnage. Un thriller dont les deux principaux personnages – Edward Snowden, bien entendu, mais aussi Glenn Greenwald – sont des personnes bien réelles.

Pendant près de deux heures, le spectateur suit le déroulement de l’affaire, étape par étape, parfois de façon elliptique – en raison de la difficulté pour les différents protagonistes de voyager et de se rencontrer sans risquer de mettre en péril leur entreprise de révélation. On assiste aux première rencontres entre Snowden et les journalistes dans une chambre d’hôtel de Hong Kong. Une chambre d’hôtel qui semble presque devenir une cellule pour cet ex-analyste conscient des risques qu’il prend.

Dès le départ, la méfiance et la paranoïa, certainement justifiées, sont de mise. Les téléphones sont débranchés, les ordinateurs déconnectés d’Internet, Snowden se cache même sous un drap pour entrer un mot de passe. La suite des événements n’est pas simple non plus entre pressions juridiques et diplomatiques, tant sur les médias participant aux révélations que sur les pays désirant accueillir le lanceur d’alerte.

 

Beaucoup de questions, peu de réponses

Citizenfour parvient à tenir le spectateur en haleine pendant près de deux heures, mais il laisse au final au spectateur beaucoup plus d’interrogations que de réponses claires.

La découverte des coulisses des révélations est extrêmement intéressante mais ce qui fait réellement la force du film, c’est peut-être la réflexion, les débats qu’il peut provoquer. Des enjeux et sujets primordiaux qui ne sont qu’effleurés, que suggérés, par le documentaire, du fait même des difficultés que la réalisatrice a dû rencontrer pour monter un tel projet dans un contexte difficile.

Il en résulte une série de pistes de réflexion qui se présentent, de façon plus ou moins claires, et qui restent ouvertes à l’appréciation du spectateur. Les notions de « liberté », de « vie privée » sont évoquées dans le cadre de ce monde où l’informatique et les moyens de communication électroniques sont de plus en plus présents. La question du cadre légal des interceptions à grande échelle de communications électroniques par les services de renseignement est clairement posée, comme l’est, au détour d’une procédure judiciaire dont un extrait est montré dans le documentaire, celle de la répartition des pouvoir politiques et judiciaires dans un pays comme les États-Unis.

De façon peu surprenante, et somme toute plutôt logique étant donné l’angle du film, la question de la nécessité d’une certaine forme d’espionnage électronique dans un cadre législatif précis et contrôlé n’est quasiment par évoquée. Or cet équilibre entre un renseignement électronique permettant de lutter contre le terrorisme international moderne et un respect de la vie privée des citoyens pas simplement américains mais du monde entier est – semble-t-il – une des questions les plus majeures – et certainement une des plus compliquées – de toute réflexion sur le rôle des agences de renseignement contemporaines.

 

Quoi qu’il en soit, malgré ces interrogations qu’il laisse apparaître – ou peut-être justement en raison de ces interrogations – Citizenfour est un film qu’on ne peut que conseiller. Un documentaire à la réalisation proche du meilleur des thrillers, et d’autant plus glaçant que les faits sont entièrement réels.