Lundi 28 octobre 2013, un véhicule en feu a percuté plusieurs touristes et policiers, tuant cinq personnes (le conducteur et ses deux passagers ainsi que deux passants) et faisant 38 blessés, sur la place Tian’anmen, à Pékin. Le conducteur et deux occupants de la voiture faisaient  partie, selon les déclarations des autorités, de la minorité musulmane présente en Chine, les Ouïghours.

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La place Tian’anmen, Pékin. ( Photo Neo Jay / licence CC )

 

Une minorité qui gêne le gouvernement chinois

Peuple turcophone et musulman, les Ouïghours vivent dans la région autonome du Xinjiang, appelée aussi le Turkestan oriental ou la République islamique du Turkestan Oriental. Leur histoire est intrinsèquement liée à celle de la Chine depuis des siècles. C’est la conquête Mandchoue en 1759 qui marque la fin définitive du royaume du Turkestan. Depuis, et malgré de nombreux remous, les Ouïghours sont restés sous domination chinoise. Quelques groupuscules terroristes se sont formés et agissent depuis quelques années en Chine, mais ils demeurent peu connus car le gouvernement reste très flou sur leurs activités précises. Les deux groupes principaux se nomment le mouvement islamique du Turkestan oriental et la jeunesse du foyer du Turkestan oriental. Ce dernier groupe lutte pour l’indépendance du Turkestan oriental, et certains de ses membres auraient été entrainés à la guérilla en Afghanistan. La minorité Ouïghours est divisée entre plusieurs organisations qui s’affrontent, aussi bien sur la nature des revendications que sur les moyens d’actions. C’est donc un peuple qui peine à faire entendre sa voix, car il n’est pas constitué unitairement.

La majeure partie des groupes Ouïghours qui se battent pour leurs droits sont entièrement pacifiques, a l’instar des Tibétains. Ils organisent des manifestations non violentes, qui ont été à de nombreuses reprises sévèrement réprimées. Amnesty International a dénoncé cette atteinte aux droits dans un communiqué du 4 février 2011, date commémorative d’une terrible répression survenue en 1997. Des dizaines de personnes avaient alors été tuées ou blessées à Gulja lorsque les forces de sécurité ont ouvert le feu sur les manifestants Ouïghours. Ils défilaient contre l’interdiction des Meshreps (une sorte de rassemblement social traditionnel), la fermeture d’une ligue de football ouïghoure, le fort taux de chômage au sein de cette population et la fermeture d’écoles religieuses. Depuis, de nombreuses manifestations pacifiques ont été réprimées tout aussi violemment par les forces de l’ordre chinoises. Autant de répressions que le gouvernement et nombre de médias passent sous silence.

Tian’anmen : une place des martyrs ?

Les Ouïighours ont toujours cherché à faire entendre leur voix de manière pacifique. Alors pourquoi choisir de faire un attentat suicide, mettant en péril la vie de passants ?

Le choix de la place symbole est marquant. Le 23 janvier 2001, Tian’anmen avait été le théâtre d’une immolation collective de personnes présentées comme des adeptes du mouvement spirituel Falungong. Depuis 2009, environ 120 Tibétains ont accompli le geste d’immolation par le feu sur la place Tian’anmen, acte désespéré pour protester contre la tutelle chinoise. Le 21 octobre 2011, un Chinois avait tenté de s’immoler par le feu, les autorités étant ensuite parvenues à maintenir pendant quatre semaines le blackout sur cette information sensible. Difficile de ne pas faire le lien avec cette voiture en feu, véritable volonté de nuire au gouvernement chinois ou acte désespéré d’une minorité en souffrance.

La puissance de l’image

La place Tian’anmen a très vite été encerclée par les autorités, le véhicule soigneusement caché aux caméras et autres appareils photos, et les quelques journalistes tentant de braver l’interdit se sont vus interpellés et leurs photos effacées. Il existe donc peu d’images de ce qui est aujourd’hui désigné par les autorités chinoises comme un attentat. Cette absence d’images retranscrit une peur évidente du gouvernement de voir naitre et renaitre des symboles autour de cette place, dont l’image célèbre d’un étudiant dressé seul contre les char en 1989 a fait le tour du monde.

Il est intéressant de remarquer que peu de médias font cas des Ouïghours. Serait-ce parce que la diffusion en images d’une Chine non démocratique et bafouant les libertés les plus fondamentales gêne aujourd’hui les pays dits des droits de l’homme, qui cautionnent la politique chinoise en y plaçant leurs intérêts?

Inès Senaoui