Le prélèvement à la source est un mode de recouvrement des créances fiscales utilisé en France et dans d’autres pays. Bien que la question de sa mise en place pour l’impôt sur le revenu soit soulevée, l’utilité d’une telle réforme apparaît limitée dans l’état actuel des choses. Dès lors, la question d’une réforme systémique se pose.

Image : ArchiModerne / Licence CC

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Un modèle utilisé en France et dans d’autres pays

 Dans un contexte de réforme de l’État et de son mode de fonctionnement, il ne peut être fait l’économie d’un débat sur la fiscalité. Outre la question de la répartition de la charge publique, se pose celle de la manière de recouvrir les créances fiscales. Le prélèvement à la source constitue l’un des modes de recouvrement actuellement en vigueur en France. Il s’applique notamment pour la CSG et se définit comme : « un mode de recouvrement de l’impôt consistant à faire prélever son montant par un tiers payeur, le plus souvent l’employeur ou le banquier, au moment du versement au contribuable des revenus sur lesquels portent l’impôt ».

 La question qui se pose actuellement est celle de sa mise en place pour le recouvrement de l’impôt sur le revenu. Avant le changement de gouvernement, c’était une piste de réforme retenue par Jean-Marc Ayrault. En France, le débat n’est pas nouveau. On peut même évoquer une pratique équivalente ayant eu court entre 1939 et 1948, avec la pratique du « stoppage à la source ». Seulement, l’extension importante du nombre de contribuables à l’impôt sur le revenu, ainsi que l’utilisation du foyer fiscal comme référence au calcul de cet impôt a amené le législateur à opter pour un système déclaratif au sein duquel c’est le contribuable qui verse effectivement le montant de l’impôt.

 Ce système de prélèvement à la source est utilisé pour la perception de l’impôt sur le revenu dans de nombreux pays. En effet, au sein de l’OCDE, seule la France, la Suisse et Singapour n’ont pas encore adopté une méthode de prélèvement à la source pour le recouvrement de l’impôt sur le revenu. Il ne s’agit pas d’une autre « exception Française », il s’agit surtout d’une question de cohérence systémique.

Une utilité limitée en l’état actuel des choses

 Les raisons gouvernants la mise en place d’un tel mode de recouvrement sont variées, le fait de rendre l’impôt « indolore » constitue l’une d’elle. Le prélèvement à la source, rendrait d’une certaine manière l’impôt « indolore », puisque le contribuable n’aurait pas d’action de paiement à effectuer. Le salaire qu’il percevrait serait donc net d’impôt.

 Cela n’est pas sans poser problème. En effet, bien que le consentement à l’impôt tel que mis en place dans notre pays par le biais de la représentation nationale ne soit pas remis en cause, la conscience individuelle de la participation au soutien de la charge publique, l’est. De plus, étant donné le caractère indolore de l’impôt, les hausses ou les modifications de calcul induisant une hausse pourraient passer plus facilement inaperçus. Le tiers payeur, qui pourrait, dans une optique de prélèvement à la source, être l’employeur, devrait avoir accès à un certain nombre d’informations sur les contribuables pour lesquels il va acquitter la charge fiscale. Le traitement de ces informations présentera sans aucuns doutes un surcoût pour lui, et l’accès à ces informations pourrait induire des abus de se part.

 L’instauration d’un tel mode de recouvrement peut permettre l’amélioration du taux de recouvrement des créances fiscales, comme cela a été le cas lorsque le prélèvement à la source a été instauré en 1942 en Australie, en 1943 aux USA, et en 1944 au Royaume-Uni. Cependant, en France, il ne semble pas que ce puisse être l’argument principal en faveur de la mise en place du prélèvement à la source, puisque depuis la réforme fiscale de 2004, le taux de recouvrement de l’impôt sur le revenu est de 99%.

 L’amélioration de la prise en compte des variations de revenu du contribuable constitue sans doutes le meilleur argument en faveur de la mise en place d’un mécanisme de prélèvement à la source. En effet, l’impôt d’une année donnée est actuellement liquidée l’année suivante. L’évolution de la situation d’un contribuable n’est donc prise en compte que l’année suivant celle au cours de laquelle elle est apparue. Un prélèvement à la source mensualisé permettrait de palier cet inconvénient. Dans le même ordre d’idée, le prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu pourrait permettre une plus grande réactivité pour appliquer les réformes fiscales adoptées au cours de l’année à la situation particulière des contribuables.

 Dans l’état actuel des choses, il est difficile d’arguer de la perspective d’un véritable gain de productivité pour soutenir la mise en place du prélèvement à la source. En effet , ce gain ne porterait que sur le recouvrement en lui même, qui est indépendant du traitement des données des contribuables pour la détermination de l’impôt. Ainsi, ce gain serait très limités puisque l’automatisation des modes de paiements que permet la mise en place d’un prélèvement à la source est déjà majoritairement retenu par les contribuables (90%). Une réforme efficace du mode de recouvrement de l’impôt sur le revenu, ne peux faire l’économie d’une modification du mode de calcul de cet impôt. En effet, dans le contexte actuel, l’objectif devant être recherché par une telle réforme est celui de l’optimisation des ressources publiques, la question du gain de productivité est donc essentielle.

Vers une réforme systémique ?

 Au rang des obstacles principaux à l’efficacité de la mise en place d’un tel mode de recouvrement on peut évoquer : et le caractère personnalisé de l’impôt sur le revenu, et le nombre d’éléments pris en compte pour la réalisation de cette personnalisation. En effet, le caractère particulièrement personnalisé de l’impôt sur le revenu en France, dont la notion de foyer fiscal est l’exemple le plus éloquent, oblige les contribuables à déclarer un certain nombre d’éléments afin que l’impôt qu’ils ont a régler soit déterminé.

 La mise en en place d’un prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu ne modifierait pas vraiment les obligations déclaratives du contribuable, à moins que cette obligation soit transférée vers le tiers payeur. Dans les deux cas l’administration continuerais de devoir contrôler et répertorier les informations relatives à un contribuables, puisque les paramètres pris en compte pour la détermination de l’impôt n’évolueraient pas.

 Dans les faits, le mécanisme de prélèvement à la source pour le règlement de l’impôt sur le revenu n’est véritablement efficace que lorsque le mode de calcul de l’impôt est simple. Par exemple au Royaume Uni, l’impôt sur le revenu n’intègre pas les charges de famille, et la progressivité est limitée, ce qui rend le calcul plus simple et limite les frais de traitement des informations. La question du mode de recouvrement de l’impôt sur le revenu ne peut donc être déconnectée de celle de son mode de calcul.

 Il ne faut pas oublier que l’impôt sur le revenu constitue également un levier d’action publique. Les mécanisme de niches fiscales ne sont par exemple ni plus ni moins que des incitations financières visant à favoriser la participation de personnes privées à la réalisation d’objectifs publics par le biais d’investissements. Une réforme efficace du mode de recouvrement de l’impôt sur le revenu poserait immanquablement la question du mode d’incitation fiscale devant être utilisé à l’avenir.

 Une réforme utile du système de recouvrement de l’impôt sur le revenu ne se limite donc pas qu’au seul recouvrement de celui-ci. Il doit y avoir cohérence entre les objectifs recherchés et les moyens mis au service ces objectifs. C’est ce constat qui bloque actuellement cette mise en place dans notre pays.

Valentin Lemort