Edito – Le jeudi 23 juin 2016, les Britanniques se sont prononcés à presque 52% en faveur d’une sortie du Royaume-Uni de l’Union Européenne, le fameux Brexit.

S’il est bien trop tôt pour avoir une idée, même partielle, des différents effets qu’aura cette décision à l’échelle britannique, européenne, voire mondiale, il est déjà possible d’en tirer quelques observations.

(Image : Jeff Djavdet / Licence CC)

(Image : Jeff Djavdet / Licence CC)

Un résultat qui met en avant de profondes divisions

Lorsqu’on se penche sur les études des instituts de sondages, il devient rapidement clair que la question du Brexit a profondément divisé la société britannique. Des fractures majeures sont apparues entre les grandes villes votant majoritairement « remain » et les campagnes désirant plutôt une sortie de l’UE.

Le clivage est aussi visible entre les jeunes générations, certes moins mobilisées, mais votant majoritairement pour un maintien de la présence britannique au sein des instances européennes, et les électeurs de plus de 50 ans qui soutenaient au contraire le camps du « Leave« . Paradoxalement, les jeunes générations seront donc celles qui endureront de façon durable les effets d’une sortie de l’UE qu’ils n’ont pas appelée de leurs vœux. Ce clivage ne se limite d’ailleurs pas au Royaume-Uni, c’est – semble-t-il – une tendance croissante dans nos démocraties européennes où les générations Y et suivantes semblent vouées à affronter les difficultés économiques liées au choix, et parfois au non-choix, des générations précédentes.

Mais les divisions qui auront peut-être le plus grand retentissement dans un futur plus ou moins proche, sont celles qui opposent les Écossais et les Irlandais du Nord majoritairement europhiles aux Anglais et aux Gallois, plutôt partisans d’une sortie de l’UE. Quoi qu’aient pu dire les partisans du Brexit, ce référendum pourrait mener – à terme, indirectement et dans le pire des cas – à une dislocation du Royaume-Uni. Les indépendantistes écossais réfléchissent déjà à la possibilité d’un nouveau référendum pour quitter le Royaume-Uni et rester au sein de l’Union Européenne, tandis que le Sinn Fein appelle à une réunification de l’Irlande.

La tentation mondiale de la xénophobie et du repli sur soi

Outre les profondes fractures au sein de la société britannique, le référendum sur le Brexit a aussi mis sur le devant de la scène une tendance de repli sur soi face à un monde où l’information et les personnes circulent paradoxalement de plus en plus facilement et rapidement. Dans des pays occidentaux qui se sont construits et développés tout au long de leur histoire sur les arrivées d’immigrants apportant leur culture, leurs idées, leur savoir-faire, la peur du nouvel arrivant étranger – sur fond de fantasmes sur le terrorisme et le vol d’emplois – tend à se propager dans une partie de la population.

A l’instar d’un candidat américain à la présidentielle énonçant l’idée quelque peu farfelue de faire financer par les Mexicains un mur entre les États-Unis et leur pays, les militants pro-Brexit n’ont pas hésité un seul instant à surfer sur les tendances xénophobes et mettre en avant quelques idées populistes (et pas toujours tout à fait exactes) sur l’immigration et les responsabilités, réelles ou supposées, de l’UE dans ce domaine.

Pour défendre leur cause, les partisans du Brexit se sont permis d’utiliser des affiches montrant une longue file de migrants agrémentée de la mention « Breaking point » (Point de rupture), voire d’expliquer que la Turquie est en train d’entrer dans l’UE. Si les Turcs ont certes pu faire une demande d’adhésion, le processus est loin d’être terminé et, dans le contexte actuel du pays dirigé par Erdogan, n’a certainement que peu de chances d’aboutir.

Affiche en faveur du Brexit ( Image :  Neil Theasby / LIcence CC)

Affiche en faveur du Brexit ( Image : Neil Theasby / LIcence CC)

Entre populisme, manœuvres politiques, désinformation et manque d’information, comment se faire une idée de la réalité?

De nos jours, il suffit d’allumer un ordinateur pour avoir accès à un nombre incalculable d’informations sur tous les sujets. Cette multitude d’informations accessibles quasi instantanément n’est pourtant peut-être qu’un cadeau empoisonné. Dans le cadre d’une campagne électorale comme celle qu’a vécue le Royaume-Uni, il devient parfois très difficile de faire le tri entre informations vraies et contre-vérités les plus absolues, d’autant plus qu’Internet pullule de sites plus ou moins conspirationnistes et partisans exhortant l’internaute à se méfier des médias « traditionnels ».

Le campagne autour du référendum britannique n’a pas échappé à la norme. Dans un camp comme l’autre, les militants se sont affrontés à coup de chiffres et d’affirmations plus ou moins vérifiables, venant de sources plus ou moins fiables. Dans un vote aussi crucial, tous les coups semblaient permis, y compris les mensonges et les demis vérités. Nigel Farrage, chef du UKIP et l’un des plus fervents partisans du Brexit, a d’ailleurs admis que le principal argument économique mis en avant par la campagne du « Leave » était fausse.

Mais fallait-il vraiment s’attendre à autre chose dans une campagne entourant un référendum qui est le résultat même d’un calcul électoraliste de David Cameron lors des dernières élections législatives britanniques? Notons au passage que le Premier ministre britannique a perdu son pari et s’est retrouvé contraint à annoncer sa démission dans les mois à venir, laissant peut-être sa place à l’ex-maire de Londres Boris Johnson, qui lui a fait le bon calcul politiquement parlant.

Dans un tel contexte, il n’est pas étonnant qu’un certain nombres d’électeurs ont été perdus face à l’enjeu. Ce qui est plus surprenant, et bien plus inquiétant, c’est le fait que la question « que se passe-t-il si nous quittons l’UE? » a connu un pic sur Google au moment même de la fermeture des bureaux de vote.

Et l’Europe dans tout cela?

Quelle que soit notre opinion sur le Brexit et bien qu’on ne connaisse pas encore les effets qu’une telle décision aura sur l’Union européenne, il faut dès à présent en prendre acte et se poser les bonnes questions.

Si quitter l’Union Européenne n’est sûrement pas la solution idéale, il est indéniable qu’il faut que les pays membres restant s’attèlent à un travail de fond pour faire évoluer une Union qui s’expose dans le cas contraire, surtout dans le contexte actuel de montée des populismes et de la tentation du repli sur soi, à un éclatement.

Il est temps de remettre les peuples et les aspirations des citoyens au centre du processus européen, de rendre le fonctionnement des instances européennes plus clair, et moins soumis à la pression du lobbying et des tentations d’ultralibéralisme exacerbé. De respecter les choix des peuples : nombreux sont les citoyens marqués par le désaveu des instances politiques après le résultat du référendum de 2005.

Il s’agit pour les responsables politiques des pays membres d’arrêter d’utiliser l’Union européenne comme une excuse pour passer des lois impopulaires, ou comme épouvantail représentant tous les maux réels ou supposés du pays.

Il s’agit de construire une Union européenne se souciant réellement de ses citoyens, assurant leur sécurité et respectant leur choix et leurs aspirations, une Europe où l’Union fait la force, tant face à la menace terroriste que dans le domaine du développement économique et social.