Face à des anti-maduro qui bloquent les routes du pays ainsi que les commerces saccagés par de nombreuses manifestations où les étudiants vénézuéliens en première ligne, le Vénézuela se retrouve au cœur d’une crise sociale, politique et économique sans précédent. 

La posture dans laquelle se trouve le  Vénézuela est très complexe aujourd’hui, mais la population a décidé de ne pas abandonner et de faire valoir ses droits. Cette mobilisation massive des Vénézuéliens n’est pas sans conséquence, puisque le dernier bilan fait état de 717 personnes blessées et 35 personnes décédées depuis début avril 2017. Comment expliquer cette crise ? Pourquoi Nicolás Maduro ne peut pas arranger ce rapport conflictuel ? Est-il impuissant ? 

Explications de Jessica Brandler-Weinreb, sociologue, spécialiste de l’Amérique latine et plus particulièrement du Vénézuela.  

 

Les différents facteurs à l’origine de cette crise sont très complexes à définir. Aujourd’hui le Vénézuela fait face à de multiples problèmes notamment politiques, économiques et sociaux, ce qui amplifie la crise.

 

Mais pour quelles raisons ? 

Les Vénézuéliens ne s’accommodent pas vraiment du gouvernement de Nicolás Maduro et le font ressentir : en témoigne la baisse de popularité du Président. Comme nous l’a confié Jessica Brandler-Weinreb « les gens veulent du changement ».

Mais quel a été l’élément déclencheur de cette révolte ?

Tout d’abord, la crise politique est fortement liée à la situation économique critique dans laquelle se trouve le pays. Il est capital de comprendre que le pétrole est la principale source de richesse du pays, puisqu’il représente plus de 96% de ses exportations ainsi que les deux tiers des recettes de l’État.

 

« Quand le pétrole se porte bien, le Vénézuela se porte bien » 

L’inflation, qui atteint des taux records (180% en 2015 !),  s’explique par le fait que, sous le gouvernement d’Hugo Chávez, l’argent du pétrole avait été redistribué à travers les différents programmes sociaux, qui a donc permis d’améliorer les conditions de vie de la population, et la consommation des Vénézueliens. Mais Jessica Brandler-Weinreb nous explique que «  le problème c’est que cet argent a été distribué mais pas investi dans l’appareil productif » . Le pays en paye aujourd’hui le prix. « Je pense que l’on récolte un problème d’ordre structurel qui se posait sous les gouvernements d’Hugo Chávez puisque, sous ses mandats, le gouvernement a principalement redistribué les ressources nationales à travers ses programmes sociaux mais il ne s’est pas préoccupé de diversifier les richesses du pays en investissant, entre autres, dans l’industrie ou davantage dans l’agriculture. »  L’inflation est donc due à une dégradation de la rente pétrolière qui représente 96% des exportations et 25% du PIB. En 2015, d’après la Banque centrale du Vénézuela, l’inflation du pays a progressé de 180,9% alors qu’elle s’estimait à 141,5% en 2014. Il s’agit du taux le plus élevé du monde.

 

Quelles sont les conséquences de cette crise ? 

Avec le prix du baril de pétrole au plus bas, il devient difficile de vivre décemment au Vénézuela.  Cette spécialiste de l’Amérique Latine insiste sur le fait que « non seulement on ne peut plus alimenter les programmes sociaux qui ont amélioré les conditions de vie, mais en plus, le pays subit des pénuries alimentaires, ainsi que des pénuries de médicaments . » 

Le Vénézuela se retrouve ainsi vulnérable et dépendant des autres nations pour couvrir les besoins de bases de sa population ; puisqu’ «il ne crée pas ses propres produits, le pays est obligé d’avoir recours à l’importation pour satisfaire ses besoins. »  Le pays demeure alors dans un état de dépendance pour répondre à ses besoins, notamment en matière d’alimentation : environ 70% des produits de base sont importés au Vénézuela. Il en va de même dans le domaine de la santé.

La crise économique est donc « la goutte d’eau qui fait déborder le vase » puisqu’elle a accentué le mécontentement politique qui existait déjà au Vénézuela sous le gouvernement de Chávez, notamment durant son deuxième mandat. D’après Jessica Brandler-Weinreb « un glissement s’est opéré puisque quelque part on voyait bien que le mécontentement ne cessait d’augmenter. Lorsque Hugo Chávez est mort , Maduro a pris la relève mais seulement avec 51 % des voix, en raison du mécontentement grandissant et parce qu’il ne bénéficiait pas de la popularité et du charisme de l’ancien leader politique, il a radicalisé la dite « révolution » alors que Hugo Chavez avait compris qu’il fallait tenter de rassembler. Son slogan est passé de « Patrie, socialisme ou la mort, nous vaincrons » à « Chávez, cœur de la patrie. » 

 

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Un groupe de personnes manifestant au Vénézuela
Crédit : Licence CC – Donations_are_appreciated 

 

Nicolás Maduro, le « mal-aimé » de la politique vénézuélienne ? 

Le régime politique vénézuélien connaît aujourd’hui une véritable « dérive autoritaire ». En effet, Nicolás Maduro, a prêté serment devant l’Assemblée Nationale le 19 avril 2013. Il avait remporté de peu les élections face au candidat de l’opposition Henrique Capriles. Lors de sa dernière intervention télévisée, Hugo Chávez avait décidé de désigner Nicolás Maduro comme étant son successeur. Mais un an seulement après son arrivée au pouvoir, le pays a dû faire face à la crise. Le régime de Nicolás Maduro, en ne reconnaissant pas l’Assemblée Nationale, qui avait été élue par près de 14 millions de citoyens vénézuéliens, s’inscrit dans une lignée «autoritaire » dont la dérive « dictatoriale » est chaque fois plus plausible. Cela constitue donc un véritable choc pour la population vénézuélienne, puisque Nicolás Maduro ne semble plus vouloir utiliser les « outils de la démocratie » pour sortir de la crise que traverse le pays, d’autant qu’il a reporté les élections municipales et régionales, n’a pas donné suite à la demande de référendum révocatoire alors que près de 2 millions de signatures avaient été récoltées à cette fin. Par un non-respect de l’organe démocratique que représente l’Assemblée Nationale, il s’est attiré les foudres de son pays ce qui a provoqué une chute vertigineuse de sa cote de popularité, puisque « la constitution est bafouée par son gouvernement ». 

 

Du fait de son manque de popularité, le président vénézuélien réagit de façon négative et riposte notamment en réprimant la population, en militarisant le gouvernement ou encore en limitant la liberté d’expression des médias, comme le souligne Jessica Brandler-Weinreb en affirmant qu’«il est difficile d’exister au Vénézuela lorsque l’on est un média de l’opposition ». 

 

Peut-il arranger la situation de son pays ? 

Selon Jessica Brandler-Weinreb, Nicolás Maduro pourrait débloquer la situation en donnant suite à la demande de référendum révocatoire mais cela ne serait pas suffisant pour que le Vénézuela s’en sorte totalement : « pour que le pays sorte de cette crise, il faudra des décennies avant que la population puisse retrouver un équilibre de vie».  Cependant, tant que le président Maduro dirige le pays, il a le devoir d’œuvrer à l’amélioration de la situation. Dans un premier temps, il pourrait répondre aux demandes de la population en respectant les « outils de la démocratie ». Pour Jessica Brandler-Weinreb, au niveau politique, il doit « accepter le jeu démocratique » ou relancer le dialogue avec l’opposition, autrement la situation ne s’arrangera pas. La sociologue explique qu’« aujourd’hui la population est mécontente, elle vit une situation catastrophique qu’il faut tenter de résoudre. Maduro doit donner suite à la demande de référendum et organiser les élections régionales et municipales afin de répondre à cette demande de la population qui est démocratique » et ajoute qu’« aujourd’hui, on ne peut pas nier que la majorité de la population veut un changement de gouvernement, sans que cela veuille dire pour autant qu’elle s’identifie à l’opposition ». Jessica Brandler-Weinreb nous rappelle que la situation du Vénézuela est très complexe ; « on ne peut pas juste dire qu’il y a une dictature au Vénézuela ». La mobilisation politique qui s’est produite sous Chávez a laissé des traces puisque « son gouvernement a permis au pays de se réapproprier une identité vénézuélienne, de se réconcilier avec le caractère populaire de la Nation ». Mais, sous le gouvernement Maduro, la survie est la principale préoccupation de la population.

 

Cette crise va donc faire l’objet d’un souvenir très douloureux pour les Vénézuéliens. En effet, non seulement le pays est victime d’une crise économique, politique et sociale mais également d’une dégradation des conditions de vie, dans tous les domaines. La population doit faire face à « un démantèlement  du tissu social ». Jessica Blandler-Weinreb, insiste sur le fait que «  le Vénézuela est aujourd’hui le pays où il y a le plus fort taux de conflictualité sociale , n’importe quel affrontement dans la rue peut coûter la vie de quelqu’un ; même pour une voiture mal garée ».  D’après une étude du journal le Monde , en 2012 il y aurait eu 16 000 meurtres dont 92% avec des armes à feu, ce qui place le Vénézuela au troisième rang mondial en matière de criminalité.

 

Au Vénézuela, ce n’est plus une question de vie, mais plutôt de survie pour la population

«  On estime que les vénézuéliens font près de 35 heures par semaine de queue dans les supermarchés pour -parfois- avoir accès aux aliments ».

Les Vénézuéliens doivent affronter une pénurie alimentaire extrême, accentuée par une épouvantable crise sanitaire ; d’après Jessica Brandler-Weinreb, 85% des médicaments sont en situation de pénurie. Concernant la pénurie alimentaire « on estime que le Vénézuélien ou la Vénézuélienne moyen a perdu entre 6 et 8 kilos ces dernières années ». D’ailleurs, elle nous confie avoir gardé contact avec les personnes auprès de qui elle a enquêté pour sa recherche doctorale : « après ma thèse j’ai gardé contact avec certaines personnes, je ne les ai pas reconnues sur les photos qu’elles publient sur Facebook, je pensais qu’elles avaient une maladie et en fait ces personnes ont beaucoup maigri après avoir arrêté d’utiliser du sucre , de la farine, de l’huile, puisqu’il y a un tas d’aliments qui ne se trouvent plus aujourd’hui au Vénézuela sur le marché. » 

Parmi les différents moyens mis en place par la population pour tenter de s’en sortir, Jessica Brandler-Weinreb nous explique que les réseaux sociaux jouent un rôle très important, pour ceux et celles qui ont accès à Internet : « il y a un système de troc qui s’est mis en place ; les personnes vont sur Facebook , non seulement pour se donner des nouvelles ou diversifier leurs sources d’information sur l’actualité du pays mais pour troquer du sucre contre du déodorant , un médicament contre des couches ».  Elle ajoute : « lorsque je parle d’une dégradation brutale des conditions de vie  je pèse mes mots ».   

 

Selon Jessica Brandler-Weinreb, la population vénézuélienne se souviendra de cette crise puisqu’elle a subi « une usure physique, psychologique, politique , sociale qui est aujourd’hui catastrophique ». 

 

 

                                                                                                                                                                                                                                     Eva Delabarre