La réélection de Vladimir Poutine marque une nouvelle fois l’étendue de son pouvoir. La Russie est toujours synonyme de danger pour les Occidentaux: « Il est temps de faire face à ces menaces – nous ne pouvons pas nous permettre de nous asseoir. », clame Sir Nick Carter, le chef d’état-major de la défense britannique le 22 janvier. Les Etats-Unis en ont même fait leur première priorité comme l’illustre Jim Mattis, secrétaire à la défense états-unienne en présentant la Stratégie de défense nationale 2018 : «  la compétition avec les Grandes Puissances est maintenant le principal objectif de la sécurité nationale des États-Unis. ».

Entre excès et critiques justifiées: des discours alarmistes circulent et contrastent parfois avec la réalité.
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Deux visions de la Russie cohabitent

La vision occidentale et la vision orientale s’opposent sur la situation économique de la Russie. Pour la première, le  pays se relève à peine de la guerre froide. « L’économie russe est dans une situation délicate à cause de la faiblesse des cours des hydrocarbures et des sanctions économiques imposées depuis 2014” selon une étude de l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (Sipri), l’année dernière.

Jean-Pierre Arrignon, historien français et spécialiste de la Russie contemporaine nous invite à relativiser: « La situation est très loin d’être dramatique ». Le niveau de vie moyen des Russes s’est amélioré depuis que Vladimir Poutine est au pouvoir. Le PIB du pays a été multiplié par neuf de 2000 à 2013 et devrait croître de 1,8% en 2018.

Une valeur positive mais insuffisante pour que la Russie soit « en bonne forme » et pour redynamiser l’ensemble souligne Isabelle Facon, spécialiste des politiques de sécurité et de défense russes. L’économie russe est extrêmement dépendante du prix des hydrocarbures: « Dès que les prix du pétrole baissent, comme en 2014-2015, on a une crise ».

Il faut remonter aux années 90 et au gouvernement de Boris Eltsine pour comprendre en quoi deux visions de la Russie s’opposent. Du point de vue occidental, la période Eltsinienne est une extraordinaire marche vers la démocratie. Mais du côté russe, cette époque représente le chaos et marque “une véritable marche vers une paupérisation phénoménale” souligne Jean-Pierre Arrignon.

Poutine a donc marqué un tournant en modernisant le pays et son armée.

Poutine, l’homme à abattre

« Le grand vilain » fait peur. Désigné l’homme le plus puissant du monde par le magazine Forbes, il a réussi à calmer une angoisse née de la chute de l’URSS. Depuis son arrivée au pouvoir en 2004, il s’est doté d’environ 400 missiles nucléaires inter-continentaux. L’armée se professionnalise : « ils ont diminué le nombre de soldats mais les ont rendu extrêmement performants grâce aux exercices à répétition » précise Jean-Pierre Arrignon.

Dans un contexte international tendu, la Russie a repris la troisième place des pays les plus dépensiers pour son armement. Elle a consacré, en 2016, 69,2 milliards de dollars à sa défense, soit 5,9% de plus qu’en 2015. Poutine répète régulièrement des manœuvres militaires la réactivité de son armée en cas d’attaque.

La Russie n’est pas « une entité totalement indépendante » rappelle Jean-Pierre Arrignon. Elle est membre de l’OCS, organisation de coopération de Shanghai, une coalition qui regroupe la Russie, la Chine, le Kazakhstan, le Kirghizistan, le Tadjikistan et l’Ouzbékistan. Créée en 1996, cette organisation fait suite à la prise de pouvoir des talibans en Afghanistan. Les pays membres “estimaient que l’Occident ne réagissait pas”. Les manœuvres militaires conjointes avec cette organisation se déroulent tous les ans.

Qui mène la danse de la course aux armements ?

L’opération ZAPAD 2017 a fait polémique. Le 18 septembre 2017, la Russie déploie 12 700 soldats pendant une semaine en Biélorussie, aux portes de l’Union Européenne. Les États-Unis dénonce un manque de transparence de la part de la Russie.

Là encore, deux interprétations s’opposent.

L’opération Zapad 2017 « n’est pas un mensonge » avance Jean-Pierre Arrignon. “Il s’agissait véritablement de manœuvres pour rendre opérationnelle l’armée russe”. Cette opération serait une « réponse » à l’implantation massive de l’OTAN depuis la Roumanie jusqu’aux Pays Baltes, réaction suite à l’envoi d’hommes, de chars d’assaut, des missiles… Selon lui, « les Russes se préparent à une possible attaque de l’OTAN et des américains ».

Pour Isabelle Facon, “cette réponse est équilibrée” puisqu’elle fait suite à l’offensive de la Russie en Ukraine. “Il fallait une réponse. Et un seul bataillon par pays a été décidé”. Dans l’alliance atlantique, les pays à l’Ouest comme les États Baltes et la Pologne se sentent menacés.Une raison de plus pour l’Otan de réagir.

Concernant le rôle de cette opération, «tous les scénarios les plus farfelus circulent » d’après Isabelle Facon. Les Occidentaux font sciemment monter la pression « ce qui sert le jeu de Moscou » qui n’y voit que des intérêts puisqu’elle est représentée comme surpuissante. « La Russie préfère être crainte qu’être aimée » disait déjà Pierre Hassner, spécialiste des relations internationales, en 2008, lors de la crise russo-géorgienne.

En terme de cyberguerre, les Russes seraient « bien au dessus des Américains » selon Jean-Pierre Arrignon, avec un recrutement incessant de hackers ces dernières années. L’affaire de l’ingérence russe le prouve : les Américains dénoncent les tentatives d’influence russes dans les décisions de vote pendant la campagne présidentielle américaine de 2016 et le piratage d’informations du Parti démocrate afin d’appuyer la candidature du républicain Donald Trump face à celle de la démocrate Hillary Clinton.

Les tensions augmentent entre les deux puissances et les relations s’enlisent entre la Russie et les aux autres pays occidentaux. Les signes annonciateurs d’une nouvelle Guerre Froide se multiplient comme l’affaire de l’empoisonnement d’un ancien espion russe, Sergueï Skripal, en Angleterre. Poutine fait peur. La Russie est « une force redoutable !» : un argument de plus pour les Occidentaux pour faire de la Russie leur ennemi public numéro 1.