Avec 60 millions de visiteurs uniques par mois, le site Tripadvisor est devenu un acteur majeur du tourisme mondial. A Bordeaux, 160 hôtels sont notés par les utilisateurs de la plateforme et classés par ordre de confort. Rencontre avec le propriétaire de l’établissement arrivé en queue de peloton : pour lui, comme pour le syndicat hôtelier, le classement n’est pas fiable. Une hiérarchie qui a profité au major de la liste.

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« A rayer sur la liste des hébergements sur Bordeaux ! », « Miteux ! », « A déconseiller pour un séjour romantique, à conseiller si vous êtes prêt à attraper la gale… » Quand Séverine D.* , la quarantaine pimpante, découvre ces commentaires postés l’an dernier par des internautes sur le site Tripadavisor, ses yeux gris s’écarquillent. « Je ne savais même pas qu’on m’y avait inscrite ! » Une mauvaise surprise : sur les 160 hôtels bordelais notés, son Studiotel blayais arrive bon dernier sur la plateforme de référencement.

La propriétaire n’en revient pas : « Le minimum, ça serait qu’on soit averti par Tripadvisor quand on figure dans le classement ! En plus, mon Studiotel est davantage un établissement de location au moyen terme qu’un lieu de passage. La plupart de mes chambres sont louées au mois, à 600 euros les 20 mètres carrés. Il m’arrive d’avoir une réservation juste pour une nuit, quand j’ai de la place, mais c’est très rare. Le blayais ne devrait pas apparaître dans la catégorie hôtel ! »

Créé en 2000 aux Etats-Unis, le pure-player Tripadvisor permet aux internautes d’attribuer une note et d’écrire un commentaire sur les hôtels dans lesquels ils ont séjourné. En tout, le site pèse 60 millions de visiteurs uniques par mois et référence 680 000 établissements dans le monde entier. Avant de partir en voyage, de plus de en plus de touristes consultent ce type de plateformes avant de réserver une chambre en France et à l’étranger.

Une tendance qui constitue un vrai problème pour les hôteliers arrivés en queue de peloton. Sur le site, trois commentaires négatifs attribuent à l’hôtel de Séverine D. une note moyenne de un sur cinq, qui classe son établissement dans la catégorie « affreux ». De quoi ruiner une réputation : « C’est vrai que l’endroit n’est pas bien tenu, mais je préviens à chaque fois les clients qu’il ne s’agit pas d’un hôtel étoilé, explique-t-elle. Le problème, c’est qu’ils sont de plus en plus exigeants et  n’alertent plus les employés quand quelque chose dysfonctionne : ils préfèrent sanctionner directement sur Internet.» La propriétaire ajoute : « Les gens sur Internet sont méchants… Ils écrivent surtout des commentaires négatifs parce qu’ils se sentent puissants. »

Le syndicat hôtelier demande des comptes

Pour Jean-Jacques Ernandorena, président aquitaine de l’Union des métiers et des industries de l’hôtel (Umih), le problème concerne les faux commentaires : « Sur Tripadvisor, un internaute reprochait à un établissement de ne pas nettoyer correctement sa piscine… Le hic, c’est qu’elle n’existait pas ! Si les appréciations mauvaises sont justifiées, ça ne me pose aucun problème. C’est plus dérangeant lorsqu’elles sont rédigées pour nuire, par des internautes qui ne sont jamais passés par les hôtels concernés. »

Ces pratiques ont déjà été condamnées en 2011 par la justice française. Tripadvisor et Expedia ont dû verser 300 000 euros à un syndicat hôtelier pour « pratiques honteuses et déloyales ». En 2012, L’Asa, (advertising standards authority) le gendarme anglais de la pub, demande à la plateforme de référencement de ne plus « revendiquer ou laisser entendre » que les commentaires proviennent de « vrais voyageurs, honnêtes réels ou fiables ». Dans la foulée, questionné dans le journal Les Inrocks au sujet des appréciations laissées par les internautes, le porte-parole France de Tripadvisor Artiné Mackertichian a reconnu  « qu’aucun système n’est fiable à 100% ». 

C’est pour réduire les marges d’erreur, que l’Umih souhaite encadrer le site américain : « Nous demandons à Tripadvisor de trouver un moyen pour certifier l’authenticité des commentaires postés sur sa plateforme, explique Jean-Jacques Ernandorena. Actuellement, n’importe qui peut noter n’importe quoi. Un patron d’hôtel peut très bien s’attribuer une appréciation positive pour augmenter la réputation de son établissement. Tout est biaisé. » Le directeur aquitaine de l’Umih poursuit : « Nous souhaitons aussi que les vieux commentaires soient effacés. Les services d’un hôtel proposés en 2009 ne sont pas les mêmes qu’en 2013. Entre temps, il peut y avoir des travaux et du personnel en plus…  Tripadvisor doit refléter une réalité concrète ! »

Plus 20% de chiffre d’affaires en deux ans

Malgré ces aléas numériques, certains établissements bordelais ont profité du système Tripadvisor. A Bordeaux, le premier de la liste est l’Hôtel des voyageurs, un deux étoiles sans prétention situé rive droite, qui devance le palace Grand hôtel  au classement. Depuis 2011, 49 commentaires louent ses qualités : « Bon rapport qualité-prix », « Service irréprochable », « Hôtel familial très agréable »…

Des appréciations qui ont augmenté significativement le nombre de clients de Mme Fernandez, propriétaire de l’Hôtel des voyageurs : « En deux ans, mon chiffre d’affaires a augmenté de 20% ! Beaucoup d’étrangers ont commencé à venir : des Australiens, des Américains…  Tous avaient consulté mes références sur Tripadvisor avant de réserver. Avant, les week-end étaient calmes, mais maintenant, c’est presque toujours plein. »

Comme la propriétaire du Studiotel, Mme Fernandez n’a pas été informée par Tripadvisor qu’elle figurait dans le classement des 160 hôtels bordelais notés. Aujourd’hui, elle doit travailler beaucoup plus pour assurer le même service qu’autrefois : « L’effet pervers, c’est que je suis débordée par le flux incessant de clients. J’ai dû donner plus d’heures à ma femme de ménage pour tenir le coup. Avant, je pouvais m’en passer. Plus maintenant. » Même si la patronne a de la marge avant de chuter dans les statistiques de Tripadvisor, cette évaluation silencieuse lui met la pression au quotidien : « C’est très bien d’avoir un bon classement sur le site, mais on n’est jamais à l’abris d’un mauvais commentaire… C’est un stress supplémentaire. »

 Adrian de San Isidoro

Photo: Flickr/Licence CC

 

*La propriétaire du studiotel a souhaité conserver l’anonymat.