L’illettrisme est encore en France sujet d’actualité. Ce phénomène concerne 2,5 millions de personnes et représente 7% de la population âgée de 18 à 65 ans. 

Si on parle d’illettrisme, la notion n’est pas à confondre avec l’analphabétisme. L’illettrisme n’est pas nécessairement l’incapacité d’utilisation du langage écrit mais le manque d’aisance à s’en servir. Le Groupe de Recherche sur l’Illettrisme (GPRI) définit les illettrés ainsi «  des personnes de plus de seize ans, ayant été scolarisées et ne maîtrisant pas suffisamment l’écrit pour faire face aux exigences minimales requises dans leur vie professionnelle, sociale, culturelle et personnelle. » L’illettrisme est donc une affaire de tous les jours. Dans une société comme la nôtre où l‘écrit est employé constamment, l’illettrisme est un véritable handicap. Il agit sur la vie professionnelle et a des conséquences relationnelles.

 

Campagne de sensibilisation sur l'illettrisme. Crédits Antoine Mairot / La Manufacture Paris

Campagne de sensibilisation sur l’illettrisme. Crédits Antoine Mairot / La Manufacture Paris

Pour un illettré, vivre dans une société où un grand nombre de communications se font à travers l’écrit devient difficile. De fait, l’accès à l’information est compliqué lorsqu’on ne maîtrise pas le langage écrit. Tous les domaines de la vie quotidienne sont empreints d’écriture, il est mal aisé de remplir un formulaire, ou plus grave, de lire la notice d’un médicament.

Toutefois, les illettrés font preuve de « techniques de contournement ». Il s’agit d’astuces permettant d’éviter une situation délicate. En d’autres termes, les personnes illettrées s’appuient sur leur entourage quand la situation le demande. La personne est handicapée par sa dépendance à l’égard d’un tiers. Le risque de marginalisation devient plus grave lorsqu’aucune assistance n’est possible et la personne en situation de handicap est d’autant plus fragile qu’elle est isolée.

Il paraît illusoire de considérer que les seuls apprentissages de la lecture et de l’écriture suffisent à mettre à bas le handicap. Pour que la personne soit autonome, il faut non seulement qu’elle ait les capacités pour se suffire à elle-même mais aussi les utilisations possibles de la lecture et de l’écriture. La lutte contre l’illettrisme ne consiste pas simplement en la diffusion d’un savoir technique mais aussi des moyens de se servir de ce savoir. Quelqu’un qui sait lire peut avoir accès aux savoirs à la condition qu’il sache utiliser ses aptitudes au service de ses intérêts. Ainsi, l’alphabétisation apparait comme un facteur parmi d’autres d’accès à l’information. Les autres facteurs peuvent être d’ordre économique, physique, sociologique…

Bourdieu, sociologue français du XXe siècle, montre dans Langage et pouvoir symbolique que ce n’est pas simplement la lecture et l’écriture qui sont discriminantes pour intégrer une classe sociale plus élevée. C’est un manque d’assimilation et d’utilisation de codes représentatifs d’une classe sociale. Par exemple, le simple fait de savoir écrire ne permet pas de rédiger une lettre de motivation pour un entretien de recrutement, la personne doit connaître les règles propres à la candidature. Une personne n’a aucune chance d’être reçue si elle ne connait pas le contenu qu’elle doit donner à sa lettre.

Un facteur de pauvreté

43% des illettrés sont sans emploi. Une enquête réalisée il y a une dizaine d’années montre le rapport qu’il y avait entre le niveau de lecture et la situation économique. Elle met en évidence le fait que que 11% des bénéficiaires du Revenu Minimum d’Intégration (RMI) avaient de lourdes difficultés de lecture. 49% des analphabètes étaient en recherche d’emploi depuis plus de trois ans. 60,6% des bénéficiaires du RMI avaient une formation professionnelle inachevée ou un niveau inférieur à la 2nde. Aucune des personnes qui ont réussi les tests de lecture et d’écriture ne vivent avec moins de 72 000 francs par an alors que près d’un tiers des personnes les plus en difficulté vivent en moyenne avec cette somme. La lecture de ces chiffres montre à quel point le facteur de difficulté d’écriture est lié à celui de la pauvreté.

Si les recrutements pour les carrières dans la fonction publique se font par concours, certains métiers, notamment manuels, sont accessibles pour les personnes ayant des difficultés avec la lecture. Le manque de compétences entrave ces personnes pour évoluer dans leur carrière. Des formations sont disponibles pour les salariés, mais le Conseil d’Orientation pour l’Emploi (COE) affirme qu’en dépit de la « bonne volonté », la lutte contre l’illettrisme n’est pas à la hauteur de l’enjeu, il met en avant que malheureusement, le nombre d’illettrés s’accroit. Estimé à 1,7 million de salariés touchés, le nombre de formation est de 30 000 par année. Si le nombre d’illettrés et le nombre de formation n’augmentait pas, il faudrait plus de 50 ans pour que tous les salariés touchés soient formés.

Ces formations ont pour but d’ « améliorer la prévention des risques professionnel » dans le but de « reconnaître les produits, lire une notice, effectuer les bons dosage » selon Eliane Giraud, conseillère régionale (PS). Le Conseil régional de Rhône-Alpes a embauché 3 000 agents d’entretiens dont 315 étaient illettrés. Le manque de facilité à la lecture met en danger ces personnes qui manipulent des produits d’entretien souvent nocifs. Des groupes privés comme Casino Restauration ont mis en place des structures permettant de donner à leurs employés des « savoirs de base ». L’engagement des entreprise n’est pas fait par pure philanthropie mais montre une nécessaire mise à niveau des entreprises qui redoutent un manque de compétitivité. Elles avancent que le problème ne se situe pas qu’au simple enseignement de base lire, écrire, compter mais au-delà, à certaines capacités fondamentales pour l’entreprise.

Les personnes touchées par l’illettrisme ont souvent du mal à parler de leur problème. Les stage de formation doivent être à leur portée. Le terme d’« ateliers de savoirs fondamentaux » montre bien à quel point nommer l’illettrisme est problématique pour ces personnes en difficulté. Elles ont du mal à en parler à leur employeur et pire encore à leur entourage.

Les problèmes sociaux qui accompagnent l’illettrisme

L’illettrisme modifie les rapports relationnels parce qu’il modifie les échanges sociaux. Les personnes ne se considèrent pas de la même manière entre elles. elles disent elles-même qu’elles veulent acquérir une aisance avec le langage écrit notamment pour leur famille. Ceci montre bien à quel point le langage écrit est important pour la stabilité relationnelle. Le langage se forme très tôt et se développe par la volonté de l’enfant de discuter avec des personnes de cercles différents que celui familial. C’est parce qu’on ne s’adresse pas de la même manière à la maîtresse qu’à sa mère que l’enfant développe un terreau fertile à la connaissance de la langue. L’accompagnement familial est une donnée fondatrice de l’éducation de l’enfant et les parents doivent prendre pleinement conscience de cette importance dont ils ont la responsabilité. Dans un contexte où le parent est moins à la maison qu’avant, il faut se demander qui peut prendre leur rôle d’accompagnement de l’enfant à la découverte de la langue.

On pourrait renverser la situation en imaginant que les parents soient eux-même illettrés. Un des droits de l’enfant est d’avoir la capacité de développer au maximum ses compétences afin de ne pas être par la suite alourdi de problèmes scolaires, sociaux puis économiques. Lorsque les parents sont eux-même illettrés, pouvons-nous croire qu’ils offrent à leur enfant le vocabulaire nécessaire pour qu’il puisse s’épanouir ? Eux-même n’auront pas nécessairement la volonté de donner à l’enfant une éducation qui vise à promouvoir des capacités qu’ils n’ont pas. Certains illettrés montrent une réticente à l’égard d’un système académique dans lequel ils ne se sont pas épanouis, ayant eux-même connu l’échec scolaire pour la plupart. D’autres au contraire poussent leur enfants afin qu’ils ne reproduisent pas leurs erreurs.

 

L’illettrisme est un sujet majeur. Il provoque une situation handicapante et concerne une part non négligeable de la société française. Le manque d’accès à l’information provoque des risques. Les illettrés sont proportionnellement plus enclins à être sans emploi mais certains trouvent un travail par des stratégies de contournement. Les personnes illettrés sont plus facilement exclues, mais leur handicap est aussi un moteur : leur dépendance les oblige à renforcer un réseau relationnel fort, utilisant la solidarité qui les entoure.

Nicolas Scheffer