Plonger est le cinquième roman de Christophe Ono-dit-Biot. C’est aussi le second mettant en scène César, journaliste et écrivain, alter ego de papier de l’auteur. Plonger est une histoire d’amour moderne. Plonger est une tragédie.

Sur plus de quatre cent pages, la poésie du texte – son lyrisme – nous transporte et nous renvoie aux Contemplations d’Hugo. Ici, César s’adresse directement à son fils, comme dans une lettre. Parfois, il fait quelques apartés pour s’adresser à nous autres lecteurs de choses qu’il ne peut avouer à Hector. Ce roman est un témoignage : c’est une photographie de Paz, la mère d’Hector, la capture d’un instant fugace mais pourtant éternel : leur amour. 

Plonger, Christophe Ono-dit-Biot

Plonger, Christophe Ono-dit-Biot

L’histoire d’un désenchantement

Comme nous l’avons dit précédemment, Plonger est un roman d’amour. Il est pourtant à mille lieux des stéréotypes du genre. L’ambiance est même pesante. César décrit un monde chaotique dont l’Europe serait l’antichambre. Le dernier rempart à l’anarchie, à la mort. Insistons sur ce second point, si l’amour est central à l’histoire, la mort l’est tout autant et elle revêt plusieurs costumes. L’enfermement par exemple, Paz est étouffée dans une Europe qui ne l’inspire plus et rêve d’ailleurs. César lui se contente de la beauté du Vieux Continent, il a connu l’horreur dans sa vie de reporter : le tsunami de 2004 qui avait ravagé Phuket ou son enlèvement par le Hezbollah et il connait depuis la valeur de la vie : « Ce que je voulais lui dire, c’est que la vie est trop courte pour qu’on veuille encore en abréger les moments de douceur, qui étaient rares.» Nous parlions plus tôt d’alter-égo de papier de l’auteur pour qualifier César. Il s’avère qu’Ono-dit-Biot s’était réellement rendu à Phuket après la catastrophe, le témoignage qu’il en fait – l’horreur qu’il conte – transpire donc de réalisme et de brutalité. Revenons en à l’histoire, le monde est économiquement à genoux et les pôles sont sur le point de s’inverser. César fait ici une analyse d’une société exsangue vouée à disparaître : les massacres en Syrie ou les salafistes sévissant en Égypte sont autant d’évènements qui le confortent dans sa position. Là où il voit la vie, Paz voit la mort et là où elle voit la vie, César voit la mort. Cette incompatibilité de point de vue se traduit par des crises plus ou moins graves qu’ils devront traverser, ensemble, jusqu’au point de non retour.  Une scène d’une grand violence, contenue dans le chapitre Lune de Miel suffit à illustrer l’atmosphère pesante du roman et l’opposition des deux amants, je ne vous en dirai pas plus.

L’Art

Paz est une artiste, une photographe au talent immense qui immortalise comme personne ce qu’elle aperçoit. Ses plages, puisqu’on parle ici de Plonger, semblent à première vue célébrer la vie. La réalité est toute autre, elle exècre cette société qui colonise des lieux purs pour venir les enlaidir de sa corruption. Elle déteste ceux qui s’approprient l’art, pensant tout comprendre d’une œuvre alors qu’ils n’en n’ont même pas effleuré la surface. Son art est l’expression de ses inquiétudes, de son tourment. Personne à part elle ne saisit les choses comme elle le fait, César essaiera sans y parvenir, se heurtant aux limites que lui imposent ses expériences. Il ne peut la comprendre et cela se ressentira tout au long du récit par une détresse tout aussi puissante que ne l’est l’amour qu’il éprouve. Au fond, une photographie n’est-elle pas un hommage rendu à un instant mort, pouvant receler de vie, figé dans l’éternité du moment ?

La beauté du monde 

Les paysages décrits dans ce roman sont à couper le souffle. Qu’on soit dans les Asturies de Paz ou dans les profondeurs sous-marines un mot prédomine : beauté. La ville de Gijón est charmante à souhait, d’ailleurs César le dit clairement à son fils : « Toute ta mère est dans Gijón. » C’est une ville qui aidera le père d’Hector à connaître Paz, première étape d’un voyage d’initiation dont il ne ressortira pas indemne. Que dire aussi de Venise – « là-haut » –  ville de l’art, de la création mais aussi de la destruction. C’est sans doute dans cette cité que l’un des plus grands tournants de l’œuvre d’Ono-dit-Biot prend place, c’est une page de la vie commune des deux amants qui créeront dans le ventre du monde leur plus belle œuvre commune, en même temps qu’ils en détruiront une autre. Enfin, parlons du troisième personnage principal de ce roman : l’eau. La mer, l’océan sont sans doute les deux entités qui permettent de comprendre au mieux Paz. Tantôt déchaînée, tantôt calme. Pleine de vie puis brisée. On remarque que Paz entretient un rapport très étroit avec l’eau, pour elle, c’est la vie. C’est le liquide amniotique du monde dans lequel s’animent maintes merveilles, notamment Nour, son requin-marteau.

Les descriptions des fonds sous-marins de César laissent bouche-bée : la magnificence de ce sanctuaire nous est contée par des mots qui tiennent lieu d’images. On entre dans autre univers et c’est certainement le moment le plus poétique du roman, à mon sens, c’est aussi le moment le plus vivant de l’histoire. La scène avec Marin et les requins est la plus belle qui m’ait été donnée de lire depuis longtemps – peut-être même depuis toujours – et c’est l’apothéose de cette œuvre.

Christophe Ono-dit-Biot © Jean-Baptiste Millot

Christophe Ono-dit-Biot © Jean-Baptiste Millot / Licence CC

Verdict

La plume de Christophe Ono-dit-Biot est remarquable, d’une légèreté et d’une précision incroyable. La beauté est omniprésente, la poésie des mots donne un relief immense à cette œuvre. C’est l’histoire d’un amour perdu, d’un amour passionnel. C’est l’amour que César porte à Paz qui a crée ce roman, c’est aussi le témoignage d’un père à un fils qui constitue une des plus belles oraisons funèbres jamais écrite. Cet amour transfigurera la vie des deux amants, dans tout le sens du terme. C’est une histoire passionnante, écrite d’une main de maître, qui ne vous laissera pas indemne. Vous vivrez avec les personnages leurs moments de bonheurs, vous rirez avec eux mais leur mélancolie vous saisira aussi, lorsque vous vous y attendrez le moins. Vous irez de la joie la plus intense à l’angoisse la plus terrible pour peu que vous vous abandonniez totalement au récit. C’est d’ailleurs une nécessité si vous souhaitez en saisir le sens, vous ne pourrez le regretter.

Il est difficile de rendre compte d’un tel roman par des mots, nous ne pouvons que vous conseiller de vous le procurer dés que possible. Plonger de Christophe Ono-dit-Biot est disponible aux éditions Gallimard.

Simon Sainte Mareville