Alors que le mois de janvier n’est même pas terminé, la sortie de l’attendu 12 Years a Slave rend l’année 2014 pour le moins prometteuse. Parlons Info revient sur l’une des productions les plus réussies de ce début d’année.

L’histoire est celle d’un témoignage : celui d’un Noir Américain libre de l’État de New York qui, à la fin de l’ère de l’esclavage, est enlevé pour être vendu dans une plantation du Sud. Il y restera douze ans. Dans une société dominée par les blancs pour qui la traite des noirs est une évidence, ou, au mieux, une réalité avec laquelle il faut vivre, notre homme, Solomon Northup (Chiwetel Ejiofor), ne peut révéler à ses maîtres son passé et son identité réelle, par manque de crédibilité autant que par nécessité de salut.

La justesse d’un film-tableau

Quelques mois après la patte si particulière et personnelle de Django Unchained, ce qui est appréciable dans 12 years a Slave est son point de vue plus réaliste, plus historique peut-être sur l’esclavage, due sûrement au fait que le scénario est un témoignage véridique. Pourtant, il semble inévitable que la réalité doive passer par une violence crue, tantôt livrée devant les yeux du spectateur, tantôt montrée de manière indirecte, via les cicatrices et les cordes de pendaison récurrentes.
L’intelligence du film réside également dans une alternance entre une vision assez reçue de l’esclavage (l’image classique des ouvriers noirs chantant du blues en cueillant le coton ou la cane à sucre) et la description de faits moins connus, plus dissimulés. Dans ce sens du détail historique, un des points les plus remarquables est le rôle de la religion qui semble hanter le film d’un bout à l’autre : la bible justifie la violence envers les esclaves désobéissants selon leur maîtres, et peine à réunir tous les membres de la plantation le dimanche, alors que le propriétaire dicte son sermon sans réelle conviction. Pourtant, comment un texte comme la bible qui proclame l’égalité entre tous les hommes peut-elle valider un système comme l’esclavage ? Ce paradoxe n’échappera pas aux esclaves : « la punition reçue par les pharaons n’est rien comparée à celle qui attend les esclavagistes », soupire l’une d’elle.

Des acteurs brillants, des personnages fascinants

Mais 12 Years a Slave ne tombe pas pour autant dans le film purement pédagogique, en mettant en scène des acteurs relativement peu connus, se distinguant par leur jeu juste et leur personnage original. Plutôt que de mettre en scène un rapport classique d’affrontement moral entre un esclave rebelle et un maître tyrannique, Steve McQueen, le réalisateur, nous propose plutôt des rôles plus travaillés.

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Le personnage principal, Solomon Northup, offre un portrait assez émouvant justement par son manque apparent de combativité et d’agressivité. Il va plutôt se dessiner dans la mélancolie et la nostalgie. Ce qui peut sembler être une faiblesse du rôle, illustre en fait une société où les esclaves devaient démontrer d’une obéissance totale pour survivre. Solomon n’est plus un jeune homme rebelle agissant sans réfléchir, il va intérioriser sa souffrance et c’est en assumant ce choix avec beaucoup de justesse que Chiwetel Ejiofor démontre toutes ses capacités et ses dons d’acteur.
Son premier maître, joué par Bennedict Cumberbach, est plutôt un maître gentil et humaniste, mais il ne combat finalement pas le système en place – qui pourtant le révulse – et n’hésite pas à vendre sciemment Solomon Northup à un négrier qu’il sait cruel pour renflouer des difficultés financières.
Mais celui qui marque le plus est sans doute Michael Fassbender, incarnant un maître fier d’être esclavagiste à une époque où les noirs sont affranchis les uns après les autres, tyrannique, alcoolique et qui n’a plus la lumière à tous les étages. Tourmenté par une passion ambiguë et violente envers sa meilleure ouvrière, il illumine l’écran et donne presque la nausée au spectateur. Si on devait n’en retenir qu’un, ce serait lui.

Toutefois, des échecs persistants

Si 12 Years a Slave ne comporte pas de défaut majeur à dénoncer, de longueur ou de fausse note, on peut avoir l’impression que ce film passe presque à côté de son objectif principal, c’est à dire de nous décrire la séparation pendant douze ans entre un homme et le reste de sa famille. Ce n’est pas grand chose, mais on dirait que le réalisateur n’a pas su montrer l’écoulement du temps et la profondeur de la mélancolie du personnage.

Sans le titre du film, le spectateur peut très vite penser que sa durée s’étale sur quelques mois : les personnages ne vieillissent pas, à part la famille de Solomon qu’on ne voit qu’au tout début et à la toute fin, il y a peu de vrai changement de lieu, pas de changement de saison. Du coup, on est moins touchés, l’intrigue et le poids des années sont moins perceptibles. L’intériorisation des sentiments de Solomon ne facilite pas non plus une prise de conscience. De ce fait, et peut-être aussi à cause de la multiplication des personnages et des intrigues, le poids et l’épaisseur émotionnelle ne sont pas aussi importants qu’ils auraient dû l’être. Ce qui peut parfois presque donner l’impression de regarder un documentaire, certes de bonne qualité et avec une certaine sensibilité, mais n’emportant pas assez notre sensibilité.

12 Years a Slave illustre avec brio, de manière esthétique, passionnante et intelligente cette période de l’esclavage au moment où le reste du monde a évolué intellectuellement. Mais c’est plus un tableau historique romancé qu’une histoire personnelle menée par l’angle de la séparation familiale. Malgré ce défaut, on reste globalement sur un sentiment positif pour ce film, et on espère que les acteurs et réalisateurs repartiront de la cérémonie des oscars avec de nombreuses récompenses de leur travail juste et émouvant.

Anaïs DUDOUT