Le 1er janvier 2018, la loi de finances 2018 est mise en vigueur en Tunisie. Pour tenter d’équilibrer les finances publiques, elle prévoit une hausse de la TVA et la création de plusieurs taxes. Les couches modestes tunisiennes sont les plus durement frappées par cette hausse des prix. Cette loi de finances a été l’élément déclencheur des manifestations qui ont alors débuté en janvier en Tunisie.

crédits: Amine Ghrabi (Flickr)

crédits: Amine Ghrabi (Flickr)

 

Une histoire difficile:

Le 14 janvier 2018, la Tunisie fêtait le septième anniversaire de la « révolution de jasmin » de 2011 qui avait mis fin à la dictature de Zine el-Abidine Ben Ali. Cet événement a permis la transition démocratique tunisienne mais on retrouve encore aujourd’hui la nostalgie d’un ordre à poigne. Les slogans aperçus durant cette célébration vont de « Gouvernement, démission! » à « Le peuple veut enterrer la loi de finances ». Pour Foued Elarbi, professeur de philosophie de 48 ans, « la loi de finances cible les Tunisiens les plus pauvres. La Tunisie est prête pour la révolution du couffin! Mon panier est à l’envers comme l’économie tunisienne où on prend aux pauvres pour donner aux riches et il est vide comme les caisses de l’État« .

En effet, l’envers du décor de la transition démocratique tunisienne célébrée à l’étranger est également l’échec socio-économique de cette révolution. La révolte tunisienne poursuivait deux espoirs, celui d’une aspiration démocratique et une attente économique. Or, la fracture territoriale est plus profonde que jamais. Aucune transformation n’a été effectuée sur le plan économique depuis 2011. De nombreux articles évoquent alors une « grogne sociale » qui se développe depuis la fuite de l’ex-dirigeant Ben Ali.

 

Fech Nestanaw:

L’exemplarité dans le monde arabo-musulman de la Tunisie est loin d’être simple. « Exiger des dirigeants tunisiens qu’ils honorent la promesse de 2011 est le meilleur moyen de garantir la stabilité de ce pays unique » affirme Koussai Ben Fradj, étudiant en philosophie à l’Université de Tunis âgé de 22 ans et également porte-parole de la campagne Fech Nestanaw (Qu’est-ce qu’on attend). Celle-ci a débuté le 3 janvier 2018 à la suite de la loi de finances. Elle dénonce notamment la détérioration des conditions de vie des Tunisiens et la fracture entre le littoral prospère et l’arrière pays oublié. Selon le porte-parole, « la loi des finances 2018 va conduire à l’aggravation de la fracture sociale« . La campagne Fech Nestanaw se bat principalement contre la cherté de la vie. Elle a commencé à une date symbolique dans l’histoire des luttes du peuple tunisien. Le 3 janvier marque en effet les 34 ans des émeutes de pain de 1984.

Les revendications du mouvement Fech Nestanaw sont les suivantes. Premièrement, ils demandent l’abrogation de la loi de finances 2018. Celle-ci a en effet fait augmenter les prix, aggravant la fracture sociale en Tunisie et, par conséquent, précarisantles couches populaires. Ils demandent également des comptes aux lobbies des anciens et des nouveaux régimes qui ont pillé l’État. Enfin, ils souhaitent la mise en place de la justice fiscale.

Les membres de Fech Nestanaw sont d’ailleurs venus déguisés en clown lors des manifestations organisées: « nous sommes venus avec des nez rouges pour montrer que nous sommes pacifiques, que nous sommes de jeunes activistes, des étudiants, des artistes qui ne demandons que la justice sociale » affirme Rhana Bensalem, étudiante en droit de 22 ans.

 

Situation actuelle:

C’est à la suite d’un mort le 8 janvier à Tebourba (situé à 40km environ de Tunis) que les manifestations se sont multipliées. Alors que l’état d’urgence est en vigueur depuis plus de deux ans, après les attentats djihadistes de 2015, les forces de sécurité ont procédé à plus de 600 arrestations depuis début janvier. Ces rassemblements ont couvert presque toute la Tunisie. En marge de cela, se déroule dans le même temps de nombreux pillages, des troubles et des mises à sac de bâtiments publics. Les manifestations sont la face la plus violente d’un large mouvement de contestation contre la cherté de la vie en Tunisie. Le pays a beau avoir connu un avancement sur le plan politique avec la révolution de jasmin, rien n’a évolué sur le plan économique. Selon un sondage publié le 10 janvier 2018 par le Centre républicain international (CRI), 68% des Tunisiens jugent la situation économique très mauvaise.

Le gouvernement semble avoir pris en compte les revendications des Tunisiens. Il a promis samedi 13 janvier un plan d’action social qui doit bénéficier à plus de 120 000 personnes et qui devrait coûter plus de 70 millions de dinars (soit 23,5 millions d’euros). Les premières mesures ne font pas taire les revendications. Fech Nestanaw s’est de nouveau mobilisé après cette annonce le 20 janvier. « Parmi les acquis de la démocratie, il y a la possibilité de s’organiser, la possibilité de manifester mais aussi on a l’obligation de travailler pour que l’économie tunisienne soit une économie saine » déclare le ministre tunisien des finances Righa Chalghoum.

 

Par conséquent, la situation actuelle en Tunisie découle d’un long mouvement de contestation. Si, a priori, le pays semble mieux se porter depuis 2011, l’économie se dégrade de plus en plus. En effet, les avancées notables sont seulement présentes sur le plan politique, bien qu’il reste de nombreuses choses à régler. Le plan économique n’a connu aucune évolution et semble s’être figé dans le temps. Les Tunisiens réclament donc un changement et protestent contre la loi des finances qui ne ferait qu’aggraver leur situation déjà très précaire pour beaucoup. La Tunisie traverse donc une nouvelle crise mais cette fois-ci sur un nouveau plan. Pour eux, la révolution continue.

 

Pauline Thomas