Gueule d’ange, Diego Franco se lance dans un projet humaniste à travers son pays, la Colombie. Diplômé de l’École Normale de Musique de Paris, il a crée le collectif EUPHONIA, une association à but non lucratif. Son grand projet se nomme PianoMóvil : embarquer Diego Franco et son piano dans un camion pour faire voyager son répertoire en Colombie dans des sites les plus insolites les uns que les autres, à la rencontre des colombiens. Entretien.

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Diego Franco et son collectif EUPHONIA. Photo : Ludovic Bayle

 

Lors de votre discours, après votre concert à la Cité internationale universitaire de Paris, vous avez évoqué les inégalités que rencontrent votre pays. Pouvez-vous nous en parler concrètement ? Le chômage y est important, autour de 9%, mais il diminue progressivement depuis 2009. Le pays va-t-il mieux ?

Diego Franco.  Le terme inégalité est complexe. Il dépend de la personne qui s’exprime. C’est normal que les gens évoquent généralement les inégalités matérielles. Des solutions sont possibles dans ce domaine. Pour vous expliquer. Il y a des inégalités par rapport aux opportunités possibles (éducation, culture ou sens d’appartenance). Culturellement, la Colombie est isolée. Peu de Colombiens sortent du pays donc moins d’occasions s’offrent à eux pour se comparer avec d’autres pays. Il y a d’autres aspects à prendre en compte (spirituel ou culturel) pour approcher l’idéal d’égalité. L’égalité est liée à l’opportunité de développer son potentiel. Pour l’instant, la Colombie est loin d’être égalitaire.

Le pays va mieux mais non grâce aux chiffres officiels du chômage dont je me méfie. Le gouvernement colombien utilise une technique que l’on peut retrouver dans beaucoup de pays : « manipuler » les chiffres (avec le temps partiel par exemple) pour faire croire que le pays va mieux économiquement. Certes, le nombre de chômeurs baisse mais il existe toujours une instabilité dans le pays. Mais des éléments donnent de l’espoir. Une nouvelle génération émerge, une relève existe. C’est un pays qui a l’envie de se développer. De ce fait, la réaction est tout à fait naturelle. Un peuple qui n’a jamais connu de paix au XXème siècle souhaite trouver des solutions. Mais on est loin d’être bien. Cependant, il faut noter un progrès appréciable depuis quelques temps. 

Vous avez parlé de « faire quelque chose pour le bien-être de votre pays » : pouvez-vous nous parler du collectif EUPHONIA que vous avez crée ? 

Il faut essayer d’agir pour le pays. Je sens une envie chez mes compatriotes. L’envie et la motivation des gens sont réelles. En ce qui concerne maintenant EUPHONIA.  Nous avons convoqué une équipe de bénévoles car cela fait appel à la notion d’idéalisme qui par la suite se transforme en réalité. Les Français nous aident beaucoup dans ce beau projet. Une quinzaine de personnes de nationalité Colombienne, Française, Portoricaine ou encore Dominicaine travaillent ensemble depuis onze mois afin de faire progresser cette aventure humaine. C’est une véritable vocation. Une structure pour développer le PianoMόvil et d’autres projets.

Quel rôle peut jouer la France pour votre collectif et quelles sont les relations existantes entre la Colombie et la France ?

La France peut jouer un rôle dans tous les aspects. La structure associative française est beaucoup plus développée que chez nous. Il y a des fonds publics et sociaux optimisés pour avoir un impact dans le monde. Les Français ont des compétences dans le bénévolat. Ils sont plus aptes à suivre un projet en maturation. Musicalement, la France doit tenir un discours artistique en prenant en compte un dilemme important : développer les manifestations artistiques autochtones traditionnelles tout en adoptant et développant les pratiques artistiques européennes. Un faux dilemme mais un sujet délicat pour les pays (comme la Colombie) qui sont dans un projet de décolonisation culturelle. Faire de la musique classique (avec entre autres le répertoire classique français) en la mélangeant avec la musique colombienne permet de proposer une solution et d’ouvrir ainsi de nouvelles perspectives pour faire face à ces dilemmes. Le projet prend également en compte des considérations sociales comme l’écologie, l’équité des genres ou encore l’éducation. Tous ces sujets dont la France est un référent important pour la Colombie.

Vous avez parlé de la pratique musicale européenne. Que doit-elle apprendre concrètement de celle de l’Amérique Latine ?

La pratique musicale européenne a beaucoup à apprendre de celle de l’Amérique Latine. Je vous donne l’exemple de la formation musicale. En Amérique Latine, nous avons des expériences très réussies de projets pédagogiques qui ne connaissent pas l’amertume, l’élitisme, la concurrence et la comparaison parfois cruelle entre certaines initiatives. L’Europe doit évoluer de ce point de vue là.

PianoMόvil, votre projet, c’est « d’embarquer un pianiste et son piano dans un camion pour faire voyager son répertoire en Colombie ». On parle donc de vous avec ce fameux piano ? Racontez-nous cette aventure. Combien serez-vous ?

Oui ce sera moi au piano (il rit). J’aimerais bien faire une première tournée pour consolider aussi ma démarche artistique et pédagogique. Mais j’espère que le PianoMόvil ira encore plus loin. Se consolider au point que d’autres musiciens puissent être intéressés par la suite par ces démarches artistiques.  L’expérience du voyage, à travers EUPHONIA, participera à ce projet. Nous avons des contacts avec certains mécènes qui pourraient nous suivre dans cette aventure. Nous espérons commencer ce voyage en août 2016. La première tournée pourrait durer deux mois environ. Mais avant tout ça, le but est d’organiser des concerts à Bogotá et dans d’autres villes afin de bien se préparer et aussi pour collecter des dons.

Y a-t-il des endroits à risques où vous ne pouvez pas vous rendre, en particulier à cause des FARC ?

 Le PianoMόvil a une dimension sociale dans le contexte réel du pays. Une démarche avec un profond contenu symbolique. On espère jouer pour les policiers, les soldats, les enfants, les personnes dans des maisons de retraite. Des concerts pour tout le monde. J’aimerais également jouer pour les FARC en étant très prudent bien évidemment. Tout le monde est associé à ce projet sans partie pris.

Que pensez-vous de la politique sécuritaire en Colombie ? Le pays est-il moins dangereux qu’auparavant ? Pour ne donner que l’exemple de Bogotá, il arrive encore de se faire braquer en pleine rue, que l’on soit étranger ou colombien. 

Le PianoMόvil ne prend pas partie pour un parti politique mais encourage la participation civique. EUPHONIA est composé d’individus qui aiment la Colombie et qui suivent de très près son activité politique. On veut encourager les Colombiens à s’informer et à plus participer dans le contexte social et politique du pays avec un esprit critique. Il faut agir dans l’appropriation de l’espace public urbain. Il s’agit de mettre en place une ambiance de sécurité grâce à ces concerts. 

Comment se déroule votre vie en France, la Maison de Norvège (dans la Cité universitaire internationale de Paris) prend bien soin de vous ? Pourquoi n’y a-t-il pas de Maison de la Colombie, y a-t-il une méfiance vis-à-vis des Colombiens ?

Je vis en France depuis cinq ans. Malgré de grandes difficultés, ce séjour en France m’a permis de donner former à mes projets musicaux. La Cité U est l’endroit le plus extraordinaire que j’ai connu en France. Un mélange de toutes les nationalités et un berceau de projets ambitieux. Chaque Maison, ici, appartient à un pays dans un climat d’échanges internationaux. Avec ma tête de Norvégien (il sourit), je passe comme l’un d’entre eux. Ils m’accueillent bien. En ce qui concerne une Maison de la Colombie, elle était prévue pour 2014. Les étudiants de mon pays attendent toujours…

 Ludovic Bayle

Pour en savoir plus sur leurs projets : http://pianomovil.com/le-collectif-euphonia/