Le 15 mai, un an jour pour jour après la passation de pouvoir entre Nicolas Sarkozy et François Hollande,  Le Pouvoir, le nouveau film de Patrick Rotman, est sorti en salle.

lepouvoir

Tourné de mai 2012 à janvier 2013, avec l’aide du journaliste Pierre Favier, ce documentaire d’environ une heure et demie porte sur les coulisses de la première année de la présidence de François Hollande.

Un film à part dans l’oeuvre de Patrick Rotman

Après avoir réalisé des documentaires magistraux sur les grandes figures de l’histoire récente de la Vème République, de François Mitterrand à Nicolas Sarkozy et Dominique de Villepin, en passant par Jacques Chirac et Lionel Jospin, Patrick Rotman s’attaque pour la première fois au cas d’un président encore au pouvoir.

D’ordinaire, ce docteur en histoire contemporaine réalise des documentaires très complets, qui englobent l’intégralité des sujets qu’ils traitent, faisant appel à des dizaines de témoins et analystes de tous bords politiques.

C’est aussi la première fois qu’il réalise un documentaire pour le cinéma, même s’il a auparavant participé à l’écriture des scénarios de films de fiction comme L’ennemi intime et La conquête ( précisons toutefois que Canal + a déjà racheté les droits de son nouveau film ).

Ceux qui viendront voir ce film dans l’espoir d’assister à la chronique complète des débuts de l’ère Hollande risquent d’être déçus : il s’agit plus d’un film d’ambiance que d’une rétrospective détaillée. On ne verra à aucun moment la façon dont le président a pu vivre l’affaire Cahuzac, ou bien la polémique suscitée par le mariage pour tous.

Faisant foin de toute distance analytique, la seule voix off que l’on entend de tout le film est celle de François Hollande lui-même, qui raconte comment il s’adapte progressivement à la fonction présidentielle.

Cette photo pourrait résumer à elle seule ce film qui aurait dû s'appeler "Le Protocole"

Cette photo pourrait résumer à elle seule ce film qui aurait dû s’appeler « Le Protocole »

Un président déconnecté de la réalité

Le film se déroulant principalement à l’Élysée, le palais présidentiel finit par devenir le principal protagoniste du film.
Au début du film, on entend François Hollande déclarer : «C’est pas facile de vivre dans un palais, de travailler dans un palais. On se sent alors à l’abri de tout, ce qui est une grave erreur. On se croit différent des autres, c’est une deuxième erreur».
Ayant fait campagne sur l’idée qu’il serait un « président normal », François Hollande  essaye tant bien que mal, en dépit du luxueux décor dans lequel il se trouve, de garder les pieds sur terre. Mais très vite, malgré toute sa bonne volonté, il échoue.

« Ce qui m’avait toujours surpris à Élysée, c’est que le temps donnait l’impression de s’être arrêté et puis ce sentiment que tout était retenu, contenu. C’est ce que j’essaie de mettre en cause », déclare le président au sujet de l’ambiance si particulière qui règne au 55 rue du Faubourg-Saint-Honoré.
Pourtant,  le montage du réalisateur finit par nous montrer exactement l’inverse : tournant le dos au tempêtes politiques qui ne cessent d’agiter la présidence de François Hollande, Patrick Rotman nous offre une image étrangement feutrée de l’exercice du pouvoir.

Cette suspension du temps ( on pourrait presque sentir la naphtaline qui protège les tapisseries de l’Élysée ) se répercute sur la chronologie parcellaire du film. Les seuls repères fournis aux spectateurs se résument aux actes fondateurs de toute présidence : la passation de pouvoir, les premières réunions de cabinet,  le premier conseil des ministres, les premiers déplacements à l’étranger …

Certains grands événements qui mériteraient amplement d’être analysés en profondeur se fondent dans les plans contemplatifs du palais présidentiel et de ses jardins.
Ceci est particulièrement frappant dans la manière dont le réalisateur nous montre la cérémonie d’annonce de la composition du gouvernement. Ce qui aurait pu donner lieu dans l’un des documentaires précédents du réalisateur à un passionnant tableau des rapports de force qui animent le Parti socialiste, se transforme ici en simple événement protocolaire, sans aucune véritable incidence sur la suite des événements.

Alors que l’on aurait pu s’attendre à des scènes nous montrant la fébrilité de la vie et du travail à l’Élysée, l’on assiste en fait à un enchaînement répétitif de courtoises réunions de cabinet, de polis entretiens de travail avec des ministres, d’huissiers ouvrant et fermant des portes, de majordomes préparant des grandes réceptions, de gardes républicains tournant en rond dans la cour d’entrée … En bref, à la routine de la vie au sommet de l’État.

La scène montrant les conditions dans lesquelles cette photo a été prise est VRAIMENT très drôle

La scène montrant les conditions dans lesquelles cette photo a été prise est VRAIMENT très drôle

Un plan com’ raté

L’équipe de communication de la présidence a sans doute voulu mettre en avant le côté humain du président. Mais au final, on retient surtout le côté contenu, pour ne pas dire coincé, de François Hollande.
Même pendant des moments à fort potentiel émotionnel, comme par exemple l’annonce de la défaite aux élections législatives de son ex-compagne Ségolène Royal, le visage du président de la République ne laisse transparaître aucune émotion. «Elle a été très digne», commente-t-il sobrement.

Bien que la presse ait amplement relayé les violentes disputes que François Hollande a pu avoir avec certains de ses ministres, Patrick Rotman ne nous montre aucune scène de débordement.
On ne voit le président hausser le ton qu’au cours d’ennuyeuses réunions de travail avec ses conseillers : «Il ne faut pas que ce soit un brouillon, on n’a pas le temps de faire un brouillon. Comme disent les enfants, il faut écrire directement au propre!», les gronde-t-il avec la sévérité d’un maître d’école.
Le film a beau s’intituler « Le Pouvoir », on ne voit que rarement le président l’exercer. Les seules décisions prises par François Hollande que nous montre le réalisateur portent essentiellement sur la forme, et non le contenu, de ses discours.

Les rendez-vous en tête-à-tête avec les grands noms du gouvernement ne valent guère mieux. Il est difficile de savoir si ce sont les exigences du protocole ou bien la présence des journalistes qui les obligent à se vouvoyer entre eux et à évoquer les dossiers en cours d’une manière aussi empruntée, à la façon d’énarques en perpétuelle représentation qui n’ont toujours pas réussi à se départir de leur attitude de premiers de la classe.
Quoiqu’il en soit, l’effet ne prend pas auprès des spectateurs qui savent pertinemment que ces gens là se tutoient depuis des décennies. C’est au cours de ces séquences, que les plus empathiques d’entre nous qualifieront d’embarrassantes, que transparaît, de façon criante, toute l’artificialité de ce exercice de communication auquel se livre ce président manquant cruellement de confiance en soi.

Et c’est bien là que le bât blesse : ce film est un plan com’ raté.
Un raté à retardement, qui a eu le temps de fermenter pendant de longs mois et qui ne fait que confirmer l’inefficacité navrante de Claude Sérillon, le principal conseiller en communication du président.
Le comble du ridicule est atteint lors du passage nous montrant la séance photo au cours de laquelle Raymond Depardon réalisa le portrait officiel du président. « Vous êtes très beau » lui assure l’assistant flagorneur que l’on aperçoit plusieurs fois par la suite en train d’essayer discrètement de donner un coup de peigne dans les cheveux clairsemés du président. S’il y a bien une scène qui vaut le coup d’œil, c’est bien celle-là.

Dire que le film de Patrick Rotman est mauvais serait injuste. De par sa réalisation et sa photographie impeccables, Le Pouvoir se suffit à lui-même d’un point-de-vue purement technique. Espérons que Patrick Rotman se serve à l’avenir de ce film comme base de travail pour un éventuel futur documentaire sur François Hollande, comparable à ceux sur Mitterrand ou Chirac.
Au final, ce n’est pas sur le plan cinématographique que ce film déçoit, mais bien sur le plan politique et citoyen car il ne montre pas ce que les Français aimeraient voir : un président qui préside.

 Arnaud Salvat