A un mois jour pour jour du référendum historique, les Britanniques, l’Union Européenne et la scène internationale s’interrogent : Qu’impliquerait réellement un potentiel Brexit ? La perspective d’un Royaume-Uni hors de la prétendue et convoitée éternelle Union Européenne sème en effet le trouble depuis la réélection de David Cameron. L’occasion de revenir sur les principaux enjeux de ce phénomène dépassant largement l’Outre-Manche.

Brexit : d’hier à aujourd’hui

Alors que le Royaume-Uni intègre la Communauté économique européenne en 1973, un premier référendum est organisé deux années plus tard. Pour la première fois, les Britanniques sont amenés à se positionner pour ou contre le fait de rester au sein de ce marché commun.  67,2 % des votants se prononcent alors à l’époque en faveur du « oui ». Des décennies plus tard, l’indécision britannique se veut plus prononcée : le temps aura-t-il eu raison du sentiment européen ? Pour ressouder les rangs de son propre parti, mais surtout pour briguer un second mandat de Premier ministre, David Cameron promet l’organisation d’un référendum sur le maintien ou non du Royaume-Uni dans l’Union Européenne au plus tard en 2017. Promesse qu’il doit désormais tenir étant donné sa victoire aux élections législatives de mai 2015. Après un Conseil européen dédié à la question du « in or out » au mois de février 2016, le chef du gouvernement a annoncé que le référendum aura lieu le 23 juin 2016. Si la sortie d’un État membre de l’Union Européenne est prévue par l’article 50 du traité sur l’Union Européenne (TUE), ce droit n’a encore jamais été utilisé. A la différence du « Grexit » qui désignait la possibilité d’une mise à l’écart de la Grèce de la zone Euro, la possibilité d’un Brexit ne relève pas d’une sanction envers un pays mais s’inscrit dans le cadre d’un départ volontaire de l’Union. Volonté qui pourrait donner des idées à certains autres pays membres, voire indigner les pays désirant intégrer l’Union Européenne.

 

(Image : Paul Llyod / Licence CC)

(Image : Paul Llyod / Licence CC)

 

« In »/ »Out » : la rupture est entamée

Si l’inquiétude britannique au sujet de l’Union Européenne est relativement ancienne, les divisions entre les partisans du « remain » et les fervents défenseurs du « leave » s’inscrivent dans un contexte contemporain particulièrement instable (celui de la migration de masse, de la menace terroriste…). Pour rassurer les Britanniques quant à l’avenir du Royaume-Uni dans l’Union, David Cameron avait alors déclaré : « Je suis convaincu que nous serons plus forts, plus en sécurité et en meilleure posture à l’intérieur d’une Union Européenne réformée ». Le ministre des Finances britannique, George Osborne, qui a mené les négociations à Bruxelles, a également déclaré son soutien au Premier Ministre, faisant alors campagne en faveur du maintien du Royaume-Uni dans l’Union Européenne. En avril 2016, Jeremy Corbyn, chef du Pari travailliste, déclare que l’Union « a apporté emplois, investissement et protection aux travailleurs, aux consommateurs et à l’environnement », se positionnant donc en faveur du « remain ». Persuadés de la véracité de cette affirmation, les milieux des affaires, de la finance et du commerce soutiennent et financent des lobbies (tels que « Britain Stronger in Europe », « European Movement-UK », « Business For New Europe »…) incitant les britanniques à ne pas minimiser les risques économiques et financiers du Brexit.

Le parti UKIP (Parti pour l’indépendance du Royaume-Uni), eurosceptique, est en revanche pour la scission entre le Royaume-Uni et l’Union Européenne. Son chef de parti, Nigel Farage, fait campagne en faveur du « out » et multiplie les provocations à l’égard du gouvernement Cameron. En effet, si l’ambition de David Cameron était de fédérer son parti durant la campagne pour le « remain », il se trouve qu’une partie du Parti conservateur est opposé au « remain », tel que l’ancien maire de Londres (Boris Johnson).

Par ailleurs, les mécontentements franchissent désormais la Manche dans la mesure où les Anglais expatriés se verront lésés des nombreux avantages que leur offre l’Union Européenne en cas de Brexit. Mécontentements qu’ils ne pourront même pas exprimer puisque ceux d’entre eux qui vivent à l’étranger depuis plus de quinze ans  ne seront pas appelés à voter comme leurs compatriotes le 23 juin.

 

(Image : Jeff Djavdet / Licence CC)

(Image : Jeff Djavdet / Licence CC)

 

Des campagnes officielles et des réactions internationales de plus en plus vives

Si les campagnes pour le « in » ou pour le « out » se sont d’abord faites à coups d’humour so british – lancement du hashtag #hugabrit signifiant « fais un câlin à un britannique » par les anti-Brexit ou distribution de préservatifs – sur lesquels on peut par exemple lire « The safer choice » (« Le choix le plus sûr ») – par l’organisation pro-Brexit Students for Britain -, les esprits se sont à ce sujet échauffés au fur et à mesure que les consciences s’apercevaient du tournant dans lequel le Royaume-Uni était sur le point de s’engager. Cameron mit en effet en garde les britanniques en suggérant qu’Abou Bakr Al-Baghdadi, chef de l’EI, profiterait de la faiblesse de la coopération européenne pour consolider l’expansion de la terreur. De son côté, Boris Johnson n’a pas hésité à comparer l’Union Européenne aux agissements hitlériens : « Napoléon, Hitler, ont essayé [de réunir le continent européen sous un seul et unique gouvernement], et cela s’est terminé de manière tragique. L’Union européenne est une autre tentative avec des méthodes différentes. ». Dans le même esprit, l’ancien maire de Londres avait aussi affirmé que le référendum était « comme si le geôlier avait accidentellement laissé la porte de la prison ouverte et que les gens pouvaient apercevoir les terres ensoleillées au loin », assimilant ainsi le Brexit à une évasion de prison. Plus polémique encore, le tabloïd britannique The Sun attestait en première page que la reine Elisabeth II encouragerait le Brexit. La reine étant appelée à la neutralité politique, les faits ont été démentis par le palais de Buckingham, qui a saisi immédiatement l’instance de régulation de la presse.

Ces interventions chocs ont été dénoncées par certains comme une façon de détourner les britanniques de l’importance de la question à laquelle ils seront soumis en juin. Si importante que les réactions internationales se sont également durcies à ce sujet. Les États-Unis ont fait savoir à leur allié de longue date que l’option du « leave » nuirait à leur relation diplomatique, dans la mesure où il était de leurs intérêts d’avoir le Royaume Uni au sein de l’Union Européenne. De même, Jean-Claude Juncker n’a pas été tendre avec les potentiels « déserteurs » de l’Union Européenne dernièrement : le président de la Commission européenne avertit les Britanniques qu’ils ne seront pas « caressés dans le sens du poil » s’ils choisissent le Brexit et que l’Union Européenne n’hésiterait pas à traiter le Royaume-Uni comme un « Tiers-Etat » si le divorce se concrétisait.

Potentielles répercussions du Brexit

La gravité des déclarations à l’égard du Brexit sont en fait à la hauteur des conséquences désastreuses que prédisent de nombreux experts si le Royaume-Uni venait à sortir de l’Union Européenne. A l’échelle nationale, le Royaume-Uni risque notamment un appauvrissement prolongé (même si Nigel Farage estime que le Royaume-Uni a les moyens de son développement économique en dehors de l’Union européenne dans l’hypothèse de l’adoption d’une politique d’immigration plus restrictive) et une détérioration de ses relations avec le gouvernement écossais, indépendantiste et europhile. Le seul droit de douanes, qui pourrait peser sur le Royaume-Uni en cas de Brexit, impliquerait indéniablement le renchérissement des produits importés qui accablerait les ménages, la consommation et donc l’emploi. De même, le renchérissement des exportations réduirait l’attractivité des produits britanniques, ce qui nuirait à nouveau à l’emploi.

A l’échelle européenne, l’Europe perdrait en effet l’une de ses trois grandes puissances, l’une des plus importantes places financières au monde ainsi que l’un des seuls Etats européens entretenant une armée régulière conséquente. Elle serait également privée de 13% de sa population, mais aussi de 16% de son PIB selon Yves Bertoncini, ce qui représenterait une « amputation » sans précédents tant le Royaume-Uni est un membre considérable de l’Union. A l’échelle mondiale, les ministres des finances ont évoqué un risque majeur pour l’économie mondiale si le Brexit venait à se produire, lors du récent G7 des Finances au Japon. Il reste également l’instabilité difficilement mesurable et dangereuse que le Brexit serait susceptible d’engendrer, sans compter les difficultés diplomatiques (presque déjà engagées) qui se complexifieraient.

 

 

La succession des rapports alarmants a incontestablement réveillé les consciences politiques et citoyennes aux quatre coins du monde. Si les sondages donnent pour le moment le « in » gagnant, les experts en opinion publique appellent cependant à la prudence car les indécis restent nombreux. A un mois du référendum, l’anxiété demeure donc face à la possibilité d’un « saut dans l’inconnu ». Mais derrière cette expression, maintenant devenue monnaie courante, se dissimulent des débats bien plus profonds et nocifs : la question de la nation et de la nationalité européenne. En effet, les Britanniques se sentent-ils assez européens pour ne pas renier l’Europe, aujourd’hui plus que jamais en difficulté ? That is the question.

Marie Delattre