Jusqu’à ce dimanche, les français retiendront leur souffle en attendant le résultat du second tour des élections présidentielles. Il nous a semblé essentiel d’observer le contexte politique actuel à travers le prisme de la philosophie. Nicolas Dubos, spécialiste en philosophie politique, a bien voulu répondre à nos quelques questions.

 

Pour vous, existe-t-il une « culture française »?

 

Vous faites référence à un débat récent… On reproche à Emmanuel Macron d’avoir nié qu’il y ait une « culture française ». Je ne connais pas trop ses arguments mais je serais plutôt d’accord avec lui si l’on entend culture au sens que lui donnent depuis un siècle l’ethnologie et l’anthropologie, à savoir les traits caractéristiques que l’on peut attribuer à des sociétés fermées, comprises sur un mode ethnique, c’est-à-dire à des sociétés très peu différenciées sur le plan interne car isolées des échanges, les peuples « premiers » comme on dit aujourd’hui. Appliquer ce concept-là à des sociétés aussi différenciées que la France me semble très exotique, car elles se sont précisément construites sur des migrations et des conquêtes pendant des millénaires (romaine et franque notamment, en ce qui concerne la France, sans compter les spécificités régionales et le passé colonial), et parce que leurs caractères linguistiques et symboliques sont l’effet d’échanges incessants. Ce n’est donc pas sérieux, à moins de considérer que la culture française est précisément l’effet de ces échanges et de ces ruptures. Mais ceux qui défendent l’idée qu’il y a une culture française ne seraient pas d’accord, à mon avis, pour que l’on dise que la culture française consiste principalement dans sa capacité à synthétiser, à digérer échanges et mutations. Ils ont en général une conception identitaire de la culture. Ils visent un invariant.

Mais ceux qui défendent l’idée qu’il y a une culture française ne seraient pas d’accord, à mon avis, pour que l’on dise que la culture française consiste principalement dans sa capacité à synthétiser, à digérer échanges et mutations.

S’il s’agit de dire qu’il y a une façon française de « faire société », une certaine sociabilité, je suis assez d’accord, mais vous voyez là qu’on vise plutôt le versant politique de ce que c’est qu’être français (la nation comme peuple souverain). A ce titre, ce qui fait l’histoire de France, c’est plutôt un certain nombre de clivages féconds : la France, ce n’est ni la révolution, ni la contre-révolution, mais précisément le débat, la confrontation des deux, leur représentation dans un discours historien, finalement. On est donc très loin de « l’identité culturelle » chez les Nambikwara. Au lieu de parler de culture, je crois qu’il vaut mieux parler d’histoire : la culture française, ce serait ce que l’on peut abstraire d’un peu invariant dans cette histoire, comme les structures invariantes d’une langue qui résisteraient à ses transformations. Mais un pays n’est pas un système, contrairement à une langue. Il y a une pression du « dehors » : certaines contingences ne sont pas digérées par les structures, elles sont prises de plein fouet. Elles sont encore moins provoquées par une identité sous-jacente qui leur survivrait, intacte.

 

Image : Calystee / Licence CC

 

Pensez-vous que la notion qui place les échanges économiques à la base de la pacification de la société soit reconsidérée aujourd’hui?

 

Il ne faut pas confondre la thèse du « doux commerce », que l’on doit à Montesquieu et qui valait à l’intérieur d’un certain ordre européen, celui des Etats du 18ème, avec le libre échange dans sa version contemporaine. Le « doux commerce », qui n’excluait absolument pas l’intervention de l’Etat, ne visait pas à valoriser une concurrence mondialisée des agents économiques, mais la possibilité de voir émerger des intérêts propres à la « société civile », voire une autonomie de la société civile par rapport à l’Etat et en particulier par rapport à l’Etat despotique –même si Montesquieu ne se faisait pas d’illusion sur la capacité du doux commerce à faire sortir les peuples européens du despotisme. Le « doux commerce » s’inscrivait très bien dans l’agenda de l’émancipation politique d’une bourgeoisie commerçante, et c’était une bonne chose, au fond, que de passer de l’hostilité guerrière à la rivalité commerciale ou encore de promouvoir des intérêts émanant de la société civile parallèlement à ceux des Etats. D’ailleurs, qui pourrait être contre ? Peut-être ceux qui devaient s’apercevoir, un peu plus tard, que le « doux commerce » cachait des politiques d’assujettissement, voire des projets impérialistes et coloniaux, en particulier les marxistes et que la douceur du doux commerce devait être surveillée comme un oxymore sur le feu.

Actuellement, il y a bien une vogue du protectionnisme à droite comme à gauche, et je pense que c’est à cela que votre question fait référence. Il se fonde sur une dénonciation, feinte ou sincère, de la guerre économique mondiale et on ne comprend rien à la séquence qui va du Brexit jusqu’à la qualification de Marine Le Pen au second tour de l’élection présidentielle, sans prêter attention au phénomène, la chose est connue. On dit même que le clivage entre partisans du libre-échange et partisans du protectionnisme est venu se sur-imprimer aux clivages anciens (droite-gauche, syndicat-patronat, progressisme et réaction etc.), pour les bousculer ou les réorganiser (en tout cas en apparence).

On a en effet un protectionnisme de droite, avec le Brexit, l’élection de Trump, la qualification de Le Pen au second tour en France, et un protectionnisme de gauche. Tous deux débordent les affiliations politiques classiques. Le protectionnisme de droite a un versant culturel et un versant socio-économique : il veut limiter les échanges de marchandises comme les flux migratoires. En ce sens, il leste un concept purement économique à l’origine d’une fonction sociale ou politique. Le protectionnisme de gauche me semble seulement axé, conformément à sa signification d’origine, sur la régulation des échanges de marchandises, afin de réduire la mise en concurrence déloyale des systèmes de production. Il vise à promouvoir des accords d’échanges entre zones comparables au plan des normes économiques, sociales, écologiques quant aux conditions de la production des biens et des services, et il est défendu depuis bien longtemps par les altermondialistes et les écologistes, serait-ce sous la forme du « commerce équitable ».

Avec ses deux versants, le protectionnisme de droite permet d’agglomérer le refus de l’immigration et de l’insécurité culturelle, thème traditionnellement droitier, avec un discours adressé aux travailleurs des industries qui pâtissent du libre échange, ces secteurs de production qui ne sauraient se renouveler au rythme des industries de la « tech » et des industries exportatrices, et pour lesquelles le principe de destruction-création s’arrête à la seule destruction. Pour ces gens, public traditionnellement à gauche, mais affaibli idéologiquement (notamment par la lutte contre les syndicats à laquelle les prédécesseurs républicains de Trump ont constamment œuvré), le discours libéral, l’idéologie de l’innovation, de l’ouverture, de la créativité sont devenus une insulte. C’est toute forme d’échange, alors, qui devient suspecte. Trump l’a très bien compris et sa formule est à peu de choses près la même que celle de Marine Le Pen : superposer, d’une façon complètement opportuniste, un discours ouvriériste d’emprunt au discours identitaire.

Trump, du reste, n’est pas protectionniste, ou pour mieux dire, il défend le « protectionnisme dans un seul pays ». Il veut un libre-échange « à la main » de l’Amérique : pénétrer toujours plus loin les marchés extérieurs tout en fermant le sien quand cela l’arrange. Le libre-échange reste toujours appuyé, qu’on le veuille ou non, à la puissance des Etats, sous couvert d’égalité dans l’échange. Dans les traités, ce sont toujours des Etats qui négocient, adossé à leur puissance géopolitique. On voit bien d’ailleurs que sitôt élu, Trump ne veut renégocier les traités de libre-échange que pour qu’ils lui soient plus favorables.

Maintenant, est-ce que l’opposition entre protectionnisme (ou souverainisme) et libre-échange (ou globalisation) a vraiment secondarisé le clivage droite-gauche ? D’une certaine façon oui : l’opposition n’est plus entre des travailleurs et des patrons, mais entre des acteurs (travailleurs et patrons confondus) d’industries innovantes et exportatrices, et des acteurs d’industrie qui déclinent ou que la globalisation met en difficulté. Mais je ne crois pas que ce clivage, contrairement à ce que l’on nous dit, opère déjà si clairement sur le plan du vote même s’il est en train d’opérer au plan géographique et de produire de véritables bastions lepénistes dans les régions désindustrialisées. Ce qui est certain c’est que la globalisation rend beaucoup plus complexes, et beaucoup moins lisibles, les anciens rapports et les anciennes consciences de classe, et avec eux, les anciens clivages, un peu comme a pu le faire depuis 50 ans l’émergence de la classe moyenne et des cadres : l’adversaire de l’ouvrier, ce n’est plus le contremaître qu’il voit tous les jours à l’usine ou le patron qui refuse d’augmenter les salaires. Ce peut être l’ouvrier étranger qui produit moins cher comme son patronat qui fait baisser les salaires : c’est-à-dire les mêmes concurrents que ceux de son propre patron.

 

L’adversaire de l’ouvrier, ce n’est plus le contremaître qu’il voit tous les jours à l’usine ou le patron qui refuse d’augmenter les salaires. Ce peut être l’ouvrier étranger qui produit moins cher comme son patronat qui fait baisser les salaires : c’est-à-dire les mêmes concurrents que ceux de son propre patron.

 

La défense du protectionnisme à gauche, précisément parce qu’il est adroitement rabattu sur le protectionnisme culturel par les néo-libéraux qui le critiquent, reste une position très minoritaire. Que la critique des échanges mondiaux puisse être un tant soit peu différentielle (ciblée sur les effets des échanges économiques plutôt que sur ceux des échanges culturels) n’est pas saisi par les catégories de l’ouverture et du repli, qui se présentent d’un seul tenant dans le discours ambiant : on est soit complètement ouvert soit complètement fermé, comme des huîtres. C’est d’ailleurs une façon habile de discréditer toute position critique : émettre des réserves envers le libre échange c’est « se replier sur soi », sur une « France étriquée », refuser « l’ouverture à l’autre », revenir aux années 30 et au bellicisme, sans compter la fin du programme Erasmus (on l’a sérieusement entendu au moment du Brexit) etc.

 

Michel Foucault avait très bien observé que l’idéologie libérale, peut-être plus que toute autre idéologie, avait pour principe la dénégation de ses propres présupposés : ainsi, le libéralisme affirme qu’il veut toujours moins d’Etat, mais plus que tout autre système économique, il a besoin de l’Etat, comme garant du droit fixant les normes de l’échange et les conditions de la libre concurrence ; le libéralisme se dit conforme à la nature, mais plus que tout autre système, il a besoin de l’artifice, puisque la libre-concurrence se construit, s’institue ; le libéralisme annonce prophétiquement la fin des idéologies, et se donne pour pur pragmatisme (ce qui « marche ») alors qu’il est une idéologie du pragmatisme qui se refuse à clarifier ses présupposés, on le voit bien quand on observe la constitution de ses catégories dualistes (société/Etat, ouverture/repli, goût d’entreprendre/frilosité) qui ne sont pas des concepts, mais les mots d’ordre de relations stratégiques entre des positions et des intérêts et qui n’ont pas plus de sens en politique que le dur et le mou, le chaud et le froid en physique.

On pourrait, à propos du libre-échange et de la mondialisation, dire exactement la même chose : il y a une doxa qui prétend que, grâce à elle, les Etats-nations seront dépassés comme des vieilleries archaïsantes et belliqueuses (« nous sommes tous citoyens du monde, etc. »), alors même qu’elle ne fait rien pour promouvoir et défendre le droit international, qu’elle présuppose l’Etat et la Nation et qu’elle enveloppe la réaffirmation la plus brutale du nationalisme (de Trump à Poutine) dont elle garantit la pérennité plus qu’aucun autre système économique. Je crois que l’on pourrait même avancer que la mondialisation n’est pas mondiale dans son origine et ses intentions, mais qu’elle a seulement des effets mondiaux.

 

Je crois que l’on pourrait même avancer que la mondialisation n’est pas mondiale dans son origine et ses intentions, mais qu’elle a seulement des effets mondiaux.

 

Elle consolide des puissances qui étaient déjà dominantes, et si elle en fait émerger d’autres, c’est au prix d’inégalités internes que ces Etats n’ont ni la volonté ni les moyens de maîtriser – encore moins que les puissances dominantes. Elle produit donc plutôt des « classes dominantes mondiales ». Ces classes ont les moyens de goûter un genre de vie « cosmopolitique » et seront amenées par ce genre de vie à promouvoir une forme d’universalité contre tout ce qui s’oppose à leur « libre circulation » et à celle de leurs capitaux. Mais cette universalité reste une universalité de l’entre-soi. Les dominés de cette classe dominante mondiale, en guise de lot de consolation, pourront goûter quant à eux, en Thaïlande ou ailleurs, aux joies de cet universel frelaté qu’est le tourisme comme phénomène de masse. Que cette communion dans la circulation puisse exclure, par incidence ou effet direct, l’immense majorité de la population mondiale non seulement du droit à circuler, mais aussi, parfois, du droit à jouir de ses propres terres et de ses droits locaux ne semble pas poser plus de problèmes que cela.

 

Pour que l’universalisme ait été pu être repris à la gauche et que l’exigence démocratique ait pu être repoussée dans la « mauvaise compagnie » voire dans « l’enfer » du souverainisme et du nationalisme (tous deux identifiés car « étriqués », « repliés »), il aura fallu un incroyable retournement idéologique. La mondialisation néo-libérale consiste quand même à mettre en concurrence non seulement des producteurs, d’un bout à l’autre du monde, mais aussi, avec eux, toutes les structures qui assurent cette production (notamment les structures juridiques et sociales). Elle a un effet délétère sur toutes les singularités, sur toutes les différences, sur l’univers compris comme plurivers. Elle permet aussi à toute une fraction des classes dominantes de tous les pays de se soustraire à ses obligations (par le contournement de l’impôt notamment). Elle pose donc des problèmes démocratiques et anthropologiques majeurs. Pourtant, l’entre-soi des classes dominantes mondiales, pour ainsi dire, se trouve fondé en bien par un autre terrifiant qu’elles ont posé et défini elles-mêmes : le repli sur soi des nations.

Mais pour que ce retournement du stigmate de l’entre-soi (par sa transformation et son changement d’échelle en anathème du repli sur soi) ait fonctionné, il a bien fallu noyer le sens des mots sous la plus grande confusion : confondre le cosmopolitisme, l’internationalisme (qui sont des positions éthiques, politiques et juridiques), l’universalisme (qui est un concept beaucoup moins précis et prêt à tous les glissements de sens puisqu’il ne précise pas s’il promeut un plurivers ou un empire) et la mondialisation. En réalité, on peut tout à fait être favorable au cosmopolitisme sur le plan éthique, internationaliste sur le plan du droit, et critique envers la globalisation sur le plan économique si l’on considère que la concurrence à l’échelle mondiale provoque des crises sociales, politiques et écologiques considérables qui ont des effets de retour tels qu’ils empêchent que se mette en place un  cosmopolitisme véritable. Je dirais même que la critique de la globalisation telle qu’elle se produit est un préalable à tout cosmopolitisme. Mais cette position n’est plus vraiment audible, du fait de la « triangulation » dont j’ai parlé, et dont profitent à la fois les populismes d’extrême droite et les néo-libéraux.

 

 

 

Existe-t-il une différence entre « nationalisme » et « patriotisme »? Si oui, laquelle?

 

Question amusante. Dans son discours de victoire au soir du premier tour de la présidentielle, Emmanuel Macron a utilisé cette opposition en se rangeant dans le rang des patriotes, contre la nationaliste Marine Le Pen. Je ne crois pas, pour ma part, qu’il y ait de différence de fond. Il y a seulement des connotations qui se construisent dans le temps et qui rendent certains concepts plus ou moins fréquentables ou infréquentables dans la sémiotique politique selon les forces sociales qui les ont utilisées. On voit bien que le nationalisme est un mot qui s’est compromis avec le fascisme au 20ème siècle alors qu’il avait pu être porté par un discours républicain (notamment celui de Machiavel parlant de l’unité de l’Italie au début du 16è). Le patriotisme sonne plus18ème, il est compatible avec la révolution et la gauche, il porte encore l’écho de la république romaine et fleure bon les lettres classiques. Concept plus sympathique finalement.

 

 

 

Plus globalement, comment concevoir aujourd’hui le rapport à autrui dans le cadre de la mondialisation, où l’être humain n’est plus une priorité face aux échanges? Quelle place tient l’homme face à la robotisation? 

Image : Joonasl / Licence CC

Il n’est pas évident que ce soit la globalisation qui ait ôté à l’être humain sa priorité face aux échanges, ni que l’être humain ait eu la priorité sur quoi que ce soit avant la globalisation, ou qu’il l’aurait après elle ou dans je ne sais quel temps historique.

Le présupposé de votre question, au demeurant, c’est qu’il y a eu un temps où l’être humain a vraiment eu la priorité, a été « au centre », qu’il y a eu une « ère de l’homme ». Ce présupposé ne peut être retenu que dans l’histoire idéale, héroïque de l’humanisme et des Lumières, où l’on représente la clarté et la centralité de la « question de l’homme », du Poge à Voltaire, comme succédant d’un bloc aux ténèbres médiévales centrées sur le divin (un âge théologique des moines à tonsure et du vilain à écuelle). Cette histoire idéale et héroïque de l’humanisme, qui vaut assurément quelque chose dans la représentation que l’Europe se fait de sa propre histoire, et en particulier de son histoire intellectuelle (à travers l’humanisme, la renaissance et les lumières, les intellectuels se racontent à eux-même une histoire de leur conquête de l’autonomie), est-il bien raisonnable de l’utiliser, telle quelle, pour concevoir par contraste notre propre époque comme post-humaniste ?

On peut continuer à préciser la question et se demander : au centre de quoi ? de nos valeurs et de nos attentions ? du monde et de notre rapport au monde ? de la pensée et de la philosophie ? de l’économie et de la politique ? L’idée qui est sous-jacente, à admettre votre présupposé, c’est que nous sommes sortis de l’humanisme pour entrer dans une ère post-humaine (la seconde partie de la question semble l’indiquer), centrée sur une économie et des techniques déshumanisantes (la robotique, voire la prothétique – l’humanité « augmentée »). Or, cette critique de la modernité, on l’entend partout et depuis très longtemps : du côté de la contre-révolution au 19è, du côté du nietzschéisme, du côté de l’existentialisme heideggerien (voir la Lettre sur l’humanisme), de l’écologie, du personnalisme, du marxisme, de l’anti-capitalisme et de l’alter-mondialisme, et j’en passe.

Les critiques de la modernité (ou de la post-modernité) au nom de « l’humain » ne s’entendent pas toutes sur le sens à donner à ce terme.

Et puis, par « être humain », qu’entend-on ? L’individu ? L’humanité ? Les critiques de la modernité (ou de la post-modernité) au nom de « l’humain » ne s’entendent pas toutes sur le sens à donner à ce terme. Critiquera-t-on les techno-sciences et la marchandisation au nom de la nature humaine, de « l’humanité en l’homme », qu’elles menaceraient intrinsèquement, ou bien au nom de la liberté individuelle du « sujet de droit », dominé ou aliéné par la technicisation et la marchandisation, ou encore, pour être plus précis, par ceux qui possèdent les outils de production et le capital ? Les critiquera-t-on plutôt au nom de la nature, comme les écologistes, puisque pour eux l’homme n’est vraiment homme qu’à l’intérieur d’un environnement qu’il doit protéger ? Ou encore au nom de l’égalité et de la qualité du lien social, ce qui est en gros la position de la gauche ? Et que faire de certaines positions religieuses, qui critiquent l’individualisme et la marchandisation comme les deux facettes d’un même processus, et qui parfois, peuvent rejoindre les positions critiques de la gauche ? En fonction de la pluralité de ces fronts idéologiques, on verra apparaître des convergences surprenantes.