Le succès d’un artiste électro-folk islandais ne paraissait pas au départ garanti, ni en France, ni même dans le monde. Pourtant Àsgeir a réussi à remplir le Nouveau Casino à peine quelques semaines après la sortie de son deuxième album, In the Silence, sorti sur le label One Little Indian. Grâce à ses mélodies folks teintées d’électro-rock, le chanteur islandais a réussi conquérir les foules.

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Islandais vs Anglais

Mais pour cela, il a d’abord fallu apprendre à parler anglais. En effet, l’album In the Silence est la traduction en anglais de son premier album Dýrð í dauðaþögn sorti en 2012 en Islande sur le label Sena (également label de Björk !). Si le public islandais avait déjà été conquis dès la sortie du premier album du chanteur-compositeur originaire de Laugarbakki (57 habitants en 2011…), en faisant même un des albums islandais les plus vendus de tous les temps, il lui aura fallu plus de temps pour être connu en France et en Europe (sauf au Danemark où son premier album avait atteint le 34° rang dans les charts). La rançon du succès à l’international passait donc malheureusement par l’anglais. Il a obtenu l’aide du chanteur-compositeur américain John Grant, (dont l’excellent album Pale Green Ghost est sorti en 2013 sur Bella Union) résidant alors à Reykjavik, pour la traduction des textes.

(en islandais)
(en anglais)

L’album est donc la copie conforme du précédent, ce qui donne deux albums de dix chansons pour un total de 39:58mn en islandais contre 39:20mn en anglais, difficile de faire mieux ! Seule la chanson Shoothe this pain a été ajoutée à la fin de l’album In the Silence, dans sa version numérique téléchargeable uniquement.

De Dýrð í dauðaþögn à In The Silence

La plus grosse critique vient donc finalement de sa raison d’être : un album islandais traduit en anglais pour être vendu à travers le monde. Le second album aurait pu servir de tremplin vers le premier qui, de toute façon, était déjà très bien vendu en Islande. Deux ans pour faire une traduction, c’est long ! Cependant, le concept est également très intéressant : traduire tout un album dans une autre langue est un travail extrêmement complexe qui pose des questions à la fois de rimes, de rythmes et même d’arrangements. Il y a donc plusieurs questions qui se posent, comme par exemple, la question des critiques : doit-on tenir compte des critiques émises sur le contenu musical à la sortie de l’album pour l’améliorer ou, au contraire, doit-on rester le plus fidèle possible au précédent pour pouvoir comparer les critiques des journaux musicaux internationaux avec celles écrites en Islande ? Il semblerait que, sur cette question, il ait choisi la seconde solution. En effet, s’il souhaite devenir un artiste international (et c’est ce qui est en train de se passer), il valait mieux prendre en compte les critiques des magazines qui risquent de le suivre sur le long terme, critiques qui auront sans doute beaucoup plus d’impact (au moins commerciales) que celles diffusées en Islande.

Àsgeir a donc gardé toutes les mélodies pour l’enregistrement des dix titres, aménageant au besoin les arrangements pour les quelques secondes de battement dues aux syllabes anglaises. Il s’est donc fatalement focalisé sur la traduction, sa transposition sur la rythmique et la prononciation de l’anglais, notamment les reprises de The Sound of Silence de Simon & Garfunkel (« wision » à la place de « vision ») et surtout Heart Shaped Box de Nirvana (« advice » prononcé très fortement « adwise » dans le refrain). Les textes, donc, sont très travaillés pour coller aux mélodies, et racontent des histoires fortement imprégnées du folklore islandais. À ce titre, il faut savoir que c’est le père d’Àsgeir, Einar Georg Einarsson poète islandais ayant déjà écrit pour de nombreux artistes (comme par exemple pour le groupe de reggae Hjálmar dans lequel le frère d’Àsgeir joue de la guitare et chante) qui a écrit la plupart des textes de l’album Dýrð í dauðaþögn. C’est donc à partir de ces poèmes que John Grant et Àsgeir se sont attelés à la traduction.

John Grant – chanteur, compositeur et interprète 

Il ne suffit de lire que quelques paroles de chansons de John Grant (comme GMF, par exemple) pour se rendre compte de l’importance de l’artiste américain et de son style sur l’album In the Silence. On retrouve ainsi son goût pour les répétitions du sujet I en fin de vers (dans In Harmony par exemple “Your eyes I see the ocean deep in your eyes/Now I/I know that nothing can harm me now”) et pour les enjambements, Going Home “Home, I’m making my way home./My mind’s already there./Yes, my mind is/Light, you’re with me in the dark./Light my way at night./Let your light shine” peut être comparée avec les vers de GMF, au moins pour la forme : “I am not who you think I am/I am quite angry which I barely can conceal/You think I hate myself, it’s you I hate/Because you have the nerve to make me feel”. C’est là que le travail devait être le plus dur : concilier le style poétique du père et l’aisance orale du fils avec la traduction de John Grant, lui aussi songwriter. C’est pourquoi le style poétique du chanteur de Denver n’est pas forcément reconnaissable ni même présent sur toutes les chansons qui ne sont, finalement, que le fruit d’une collaboration.

Un silence mesuré

Au final, l’album est très efficace, porté par une folk de plus en plus teintée d’électro qui nous suit du début à la fin. Àsgeir chante toujours parfaitement bien et, titre après titre, on retrouve la voix naturellement aigüe du chanteur, de Higher à On The Day. Le final est donc très beau, sans aucune fausse note, les 40 minutes de l’album défilant sans même qu’on s’en rende compte. Et c’est là même qu’est le problème majeur : une fois l’album terminé, on a l’impression d’avoir écouté une seule et même chanson avec seulement quelques mouvements différents.

Dommage, donc que le tout soit aussi linéaire, il va falloir attendre un deuxième album (et une deuxième traduction ?) pour avoir la confirmation que le trio Einar Georg Einarsson/Àsgeir/John Grant est réellement efficace. Cependant, au vu de la qualité des sessions acoustiques disponibles sur YouTube, on peut tout de même avoir de bons espoirs.

Sors du silence, Àsgeir !

 Edouard Lenormand