L’Urbex ou l’éloge de la ville fantôme

Se faufiler dans des souterrains, errer dans des maisons délabrées, escalader des grillages, se perdre dans la forêt et atteindre un bâtiment désaffecté… Telles sont les caractéristiques de l’exploration urbaine, plus communément appelée urbex de l’anglais urban exploration. Cette pratique consiste à accéder, de préférence par des chemins sinueux et semés d’embûches, à des lieux construits puis abandonnés par l’homme.

Mais qu’est-ce qui motivent les adeptes, appelés urbexers, de cette pratique d’un genre nouveau ? Les justifications sont multiples : évasion, frisson, aventure, curiosité historique, engouement pour l’architecture ; le nombre d’attraits soulignés par les urbexers n’a d’égal que la pluralité des lieux visités. Des bouches de métro désaffectées, des maisons abandonnées, des usines délaissées par ses ouvriers depuis des dizaines d’années, cette exploration possède autant de cadres qu’elle possède d’adeptes.

 

 

Urbex à Berlin - Crédits Photos: Hortense Lugand

Urbex à Berlin – Crédits Photos: Hortense Lugand

 

Ces derniers,  présentent néanmoins des points communs. Poussés par un désir d’aventure, les urbexers, en véritables Christophe Colomb citadins, sont prêts à contourner les obstacles qui jalonnent le parcours qui mène au lieu convoité et c’est même là que réside l’intérêt de l’Urbex : la difficulté de l’accès. Plus le chemin est long et sinueux, plus l’arrivée sur le lieu abandonné est jouissif. La simple ballade adopte un caractère de quête vers le frisson de l’illégalité et du mystère. Capturer un moment de vie unique, que personne ne revivra, telle est la volonté de cet explorateur d’un genre nouveau.

 

Pour en savoir plus sur les motivations de ces nouveaux explorateurs, voici le témoignage d’un jeune bordelais responsable du groupe « Urbex Bordeaux ». La découverte de ce type d’exploration s’est faite par hasard pour ce jeune homme de 21 ans « Il y avait un château abandonné près de chez moi et j’ai décidé d’aller le visiter avec quelques amis. On s’est ensuite renseigné sur des sites pour continuer car cela nous avait beaucoup plu.» Ce qui n’était au départ qu’une visite spontanée s’est transformée en une pratique régulière. Mais quelles sont donc leurs motivations pour se rendre sur ces lieux abandonnés ? « C’est le côté excitant de l’Urbex, aller dans un endroit calme, inhabité. » Il met aussi beaucoup en avant l’importance de l’atmosphère sonore « Tous les bruits sont amplifiés : un rat qui court sur le sol, une porte qui claque, cela a un côté un peu inquiétant qui me plaît beaucoup. » L’aspect artistique apparaît pour lui central dans la pratique de l’urban exploration « La photographie est la base de l’Urbex selon moi. »

Il doit selon lui y avoir un respect du lieu par l’urbexer, qui doit voir l’exploration urbaine  non comme une pratique banale mais comme un moyen de découverte et d’expression artistique de lieux à part, ayant une histoire et un passé.

 

Mais d’où vient cette pratique ? Il est difficile d’inscrire l’exploration urbaine dans un espace temporel précis. Néanmoins,  l’Urbex pourrait être une variante de la cataphilie, qui n’est rien de moins que l’attrait pour la découverte des catacombes et autres galeries souterraines datant de 1960. En effet, à cette période se créé un engouement pour l’exploration des entrailles de Paris, en remontant des réseaux de transports et en parcourant des caves. Ainsi, les cataphiles, et leur cousins contemporains urbexer, au-delà du frisson, ont également une volonté de compréhension de l’espace et de son histoire, les raisons de l’existence d’une construction à un endroit précis et non ailleurs.

Néanmoins une discorde oppose deux catégories d’urbexers  : ceux qui revendiquent la préservation du secret autour des lieux à explorer, afin de limiter cette pratique à une minorité d’initiés, à un réseau limité, avec pour objectif de protéger l’aspect unique de ces lieux. D’autres  sont plutôt au contraire favorable à un partage d’adresses et de lieux au plus grand nombre afin de transmettre et de partager leurs trouvailles. Ils évoquent une portée pédagogique, appréhendant l’urbex comme une source d’apprentissage : apprendre à « explorer pour mieux comprendre ».  Cette discorde se fait d’autant plus forte que la pratique est de plus en plus revendiquée sur les réseaux sociaux, et se retrouve de fait révélée au grand jour.

 

 

Urbex à Berlin - Crédits Photos: Hortense Lugand

Urbex à Berlin – Crédits Photos: Hortense Lugand

 

 

Des centaines de milliers de photos fleurissent sur Instagram, arborant le hashtag « urbanexploration » pour décrire des photos savamment filtrées de murs délabrés couverts de graffitis ou des escaliers vermoulus en colimaçon. Des sites Internet tels que Urbexsession recensent des lieux d’exploration urbaine dans des dizaines de pays européens, que vous soyez plutôt château abandonné en Allemagne ou villa parisienne tombée en désuétude, votre idéal d’exploration interdite est à portée de clics.

Mais alors se pose une problématique : le caractère secret, caché n’est-elle pas l’essence même de cette expérience de découverte de l’espace ? En perdant cet attrait d’originalité et de mystère, n’est-elle plus qu’une activité touristique comme une autre, au même titre qu’une visite de musée ?

Un nouvel aspect de cette exploration urbaine émerge alors … L’homme, en cherchant à tout prix à explorer des espaces délabrés, ayant vécu une histoire arbore une volonté de retour à l’état naturel revendique un désir de fuite  d’une société jugée trop aseptisée, trop lisse, aux contours trop définis. En fuyant une  institutionnalisation de l’espace et une « officialisation de l’art », d’après une expression de Merlin Coverley dans son ouvrage Psychogéographie : Poétique de l’exploration urbaine, l’homme veut se réapproprier son expression artistique en exploitant de nouveaux types d’interactions avec la ville. En choisissant volontairement des lieux hors de la ville, dont l’accès est relativement périlleux, l’urbexer se refuse à céder à une exploration « facile », dans des espaces urbains de plus en plus organisées, majoritairement piétons et régulées par des instances gouvernementales. Cette aspiration à l’aventure se double d’une certaine nostalgie de la « vraie pierre », de bâtiments avec une identité architecturale, qui se pose en opposition avec des constructions conditionnées et dénuées d’une véritable identité architecturale.

 

 

Urbex à Berlin- Crédits Photos: Hortense Lugand

Urbex à Berlin- Crédits Photos: Hortense Lugand

 

Là où les villes se vident pour améliorer la circulation des piétons, l’urbexer se créé une difficulté en escaladant des grillages, là où la gentrification transforme des lieux désaffectés en skate parks ou bars fancy, l’urbexer s’enfonce dans des galeries souterraines.

 

Alors quête désespérée de citadins en mal d’authenticité, nouvelle tendance touristique ou remise en question du contrôle de l’espace, diverses interprétations de l’urbex sont possibles. Néanmoins, cette pratique nous fait sans aucun doutes repenser l’espace urbain comme un lieu emprunt de poésie, mise brillamment en vers par plusieurs auteurs dont Jacques Réda, poète français, proposant une éloge du mouvement en parlant d’un « espace acrobate qui s’accommode des plus diverses situations » qui s’inscrit dans un espace temps « il n’y a que lui véritablement  qui marche, et sans arrêt, droit devant soi ».

 

Océane Théard