Quelques mois après l’intervention victorieuse au Mali, l’heure est au bilan : la menace djihadiste n’a pas été éradiquée – est-ce possible ? – mais bel et bien endiguée en Afrique de l’Ouest et dans le Sahel. Au même moment, les groupuscules radicaux d’Afrique Centrale se renforcent, alimentés par le flux d’extrémistes se déplaçant désormais vers le Sud de l’Afrique comme pour fuir les zones perdues lors des affrontements dans le Sahel. Au moment où un sommet africain se tient à l’Élysée, le président de la République François Hollande – après avoir obtenu l’assentiment de l’ONU – annonce une intervention militaire française au Centrafrique.

 

Drapeau de la République Centrafricaine / Wikicommons

Drapeau de la République Centrafricaine / Wikicommons

Le Centrafrique : entre pauvreté et corruption

C’est un problème bien connu, les pays Africains sont gangrénés par une corruption présente dans toutes les strates de la société, aussi bien au niveau militaire que sur le plan gouvernemental. On constate depuis peu que cette corruption générale commence légèrement à s’estomper et c’est un bonne chose lorsque l’on sait qu’elle ne favorise aucunement la légitimité des États. En effet, c’est là un immense frein à l’expansion des pays de la zone qui ne peuvent compter sur une population soudée sans exemplarité politique. La grande pauvreté et le sous-développement au même titre que la malnutrition et l’analphabétisme sont autant de facteurs instaurant un climat d’instabilité dont sait toujours profiter la mouvance terroriste et/ou extrémiste.

Plus encore depuis le coup d’État de la Séléka, le système de santé du pays est de plus en plus inefficace. Il n’y a plus aucun médecin en dehors de la capitale et les infrastructures de soin ont été ravagées et pillées. Dans un pays où l’espérance de vie ne dépasse pas les 48 ans et où le taux de mortalité est l’un des plus élevé du monde, la crise humanitaire est une terrible réalité.

Situation politique en République Centrafricaine

La République Centrafricaine est un pays d’une superficie légèrement supérieure à la France dans lequel le pouvoir central ne gouverne pas le territoire entier du fait d’un manque d’organisation mais surtout de moyens et d’infrastructures : seule la capitale Bangui – au Sud de la nation, à la frontière congolaise – est sous le régime de l’État. Tout cela engendre donc un problème, les milices armées gouvernent les régions d’une main de fer contestant donc la légitimité du pouvoir centrafricain. Les zones rurales sont des zones de non-droit dans lesquelles il est dangereux de s’aventurer, l’insécurité y régnant perturbe même les aides humanitaires internationales qui y font l’objet de nombreuses attaques et menaces. Ex-colonie française, le pays a une population inférieure à cinq millions d’habitants seulement dont une grande majorité est de confession chrétienne avec une minorité musulmane.

Le Centrafrique n’a sombré dans le chaos que récemment, lorsque la Séléka – l’Alliance en sango, deuxième langue parlée dans le pays avec le français – a renversé le président Bozizé le 24 mars 2013 de la même manière que ce dernier l’avait fait dix années plus tôt, c’est-à-dire par la force. Cette organisation est composée de combattants Centrafricains mais aussi de mercenaires venant d’autres pays voisins. Michel Djotodia – actuel président auto-proclamé centrafricain – était à la tête de la Séléka qu’il a dissoute dés son arrivée au pouvoir. La Séléka n’existe donc plus, ce sont ses ex-membres qui agissent aujourd’hui, totalement hors de contrôle et avec une violence exacerbée.

Cadavre d'un jeune garçon, possible anti-balakas victime d'ex-Sélékas

Cadavre d’un jeune garçon, possible anti-balakas victime d’ex-Séléka

Une spirale de violence

Avant ce coup d’État, de décembre 2012 à mars 2013, la Séléka avait conquis une grande majorité du territoire centrafricain, commettant pillages, meurtres et autres crimes dans l’impunité la plus totale. Composée majoritairement de musulmans, l’Alliance a donnée au conflit un caractère religieux indéniable. Jusqu’alors, les populations de confessions différentes vivaient en harmonie dans un État laïc. Depuis l’action du Séléka, des milices défensives chrétiennes se sont mises en place sous le nom d’anti-balakas – anti-machettes, en référence au mode opératoire brutal de la Séléka –. Pourtant, bien vite, ces milices premièrement défensives se sont mises à perpétrer des actes de cruauté envers les civils Centrafricains musulmans, contribuant également à la spirale de terreur s’étant emparée du pays.  Les anti-machettes se sont mis à en jouer, avec comme fait le massacre d’éleveurs musulmans et d’enfants près de Bangui le jeudi 5 décembre dernier, si bien qu’une guerre civile ravage désormais le pays entier, les deux camps se répondant avec plus de violence à chaque affrontement.

Les villes et villages sont pris d’assaut, successivement par la Séléka et les anti-balakas, leurs habitants vivent dans la terreur. Des massacres, viols, exécutions et enlèvements y sont perpétrés presque quotidiennement. Les maisons brûlent, les corps s’accumulent. Face à cela, la population centrafricaine a entreprit un grand exode pour tenter de fuir ces scènes de guerre, posant encore d’autres problèmes sanitaires : les exilés vivent entassés, sans nourriture et sans eau saine. Ce ne sont plus les rafales d’armes automatiques qui inquiètent mais plutôt les piqûres de moustiques transportant le paludisme. Dormant dans la brousse, à même le sol, ces individus n’ont accès à aucun médicament et ne survivrons pas longtemps sans aide. Les chiffres démontrent que plus d’un million de Centrafricains ont besoin d’ une aide alimentaire dans les plus brefs délais.

Le même jour, un véhicule armé a tenté de s’en prendre aux deux mille civils réfugiés sous protection française à l’aéroport de Bangui sans succès avant d’être abattu par l’armée. Les massacres ont fait au moins 300 morts selon la Croix Rouge centrafricaine, ces chiffres ne sont pas exhaustifs tant les rues de la capitale sont jonchées de cadavres qui n’ont pas encore pu être ramassés. L’offensive des anti-balakas sur Bangui a conduit les ex-Séléka à entreprendre des expéditions punitives sur les populations chrétiennes civiles. Personne n’est épargné, des enfants se prennent des coups de machettes, les femmes et les hommes sont massacrés indifféremment. Les hommes armés n’hésitent pas à entrer dans les hôpitaux, les mosquées et les églises pour achever les blessés, les réfugiés dans des charniers absolument abominables. Les corps sans vie – atrocement mutilés – côtoient les malades, les blessés et les sauveteurs causant de graves problèmes sanitaires. Des récits font état de massacres de la part des ex-Séléka qui vont de maison en maison en assassinant tous ceux s’y trouvant, les accusant de faire partie du groupe adverse. Médecins Sans Frontières s’occupe tant bien que mal des blessés, quel que soit leurs confessions, mais est dépassé à la fois par la dangerosité de la situation que par le nombre incessant de blessés qui s’ajoutent aux autres.

Les notions de « gentils » et « méchants » n’ont absolument plus aucune valeur dans ce conflit. Si la Séléka puis les ex-Séléka sont ceux qui ont initié le conflit, les anti-balakas ont commis des actes tout aussi atroces. Il est désormais essentiel de stopper l’escalade de violence sous peine d’assister à un massacre de masse dans une nation exsangue qui, pour sûr, ne pourrait pas s’en relever.

L’intervention française

C’est donc dans ce climat explosif que la France a décidé d’intervenir militairement dans les plus brefs délais, en soutien à la force africaine MISCA – coalition des armée du Cameroun, du Congo, du Gabon et du Tchad – rassemblant moins de trois mille hommes sous-équipés et mal-entraînés. Les enjeux sont simples, il s’agit de restaurer la paix civile mais surtout – nous l’avons appris récemment – de désarmer toutes les milices. La durée de l’intervention devrait être sensiblement la même qu’au Mali, entre trois et six mois. Les maîtres mots de l’opération sont rapidité et efficacité, à l’image de ce qui a été fait au Mali, c’est-à-dire des opérations éclairs basées sur l’effet de surprise et la puissance pour prendre au dépourvu les ennemis. Le déploiement de nombreux véhicules blindés à Bangui contribue également à un effet de dissuasion important.

Vote de la résolution pour une intervention militaire en Centrafrique.

Vote de la résolution pour une intervention militaire en Centrafrique.

Après avoir reçu l’aval de l’ONU, la France a immédiatement déployé des troupes en Centrafrique. François Hollande a annoncé lors d’une allocution au sommet sur la paix et la sécurité en Afrique à Paris que le nombre de soldats envoyés, initialement fixé à 1.200, serait augmenté à 1.600 hommes. La MISCA a également annoncé une augmentation des forces à 6.000 hommes. L’opération vise avant tout à protéger les populations civiles. En sécurisant le territoire centrafricain, l’armée française pourrait assurer la protection des convois humanitaires. L’opération « Sangaris » lancée vendredi est déjà un succès. La nuit de vendredi à samedi dans la capitale a été très calme. Les groupuscules ont semble-t-il pris peur devant le déploiement français, notamment devant le survol de Bangui par des avions de chasse Mirage. Pourtant, la réalité est toute autre, le peuple centrafricain en veut aux patrouilles françaises qui ne font justement que patrouiller, sans entrer dans les ruelles où les ex-Séléka continuent – certes à un rythme moins soutenu – de terroriser la population. Le samedi 7 décembre en soirée, le gouvernement centrafricain appelle la population à retourner à la vie active, garantissant sa sécurité grâce aux troupes franco-africaines.

Provocation des ex-Séléka paradant sur le lieu de leur crime devant les troupes françaises.

Provocation des ex-Séléka paradant sur le lieu de leur crime devant les troupes françaises.

Le fantôme du Rwanda hante toujours les esprits, lorsque la communauté internationale – notamment l’ONU – était restée apathique devant le génocide entre Hutus et Tutsis. Cette catastrophe avait fait plus de 800.000 morts et était partie de faits presque similaires à ceux que nous pouvons observer aujourd’hui en Centrafrique : un conflit politique entre deux groupes qui ont à la fois inventés et exacerbés des idées éthnico-religieuses. Pour Laurent Fabius, Ministre des Affaires Étrangères, il « s’agit d’arrêter la catastrophe en République Centrafricaine et de reconstruire un pays qui n’existe plus« . Cela prendra nécessairement du temps, il faudra au préalable organiser des véritables élections avant de former les troupes locales pour qu’elles puissent défendre elles-mêmes leur territoire.

Force est de constater que la situation s’améliore d’heure en heure en Centrafrique, reste seulement à espérer que les massacres s’arrêteront là et que les populations soient aidées et secourues à temps. La France semble ainsi se placer comme seule force d’intervention Occidentale en Afrique et on ne peut que louer le fait d’intervenir comme unique soutien à un peuple terrorisé et en détresse.

Simon Sainte Mareville