Pour cette 79ème édition, le soleil était présent au traditionnel rendez-vous culturel des forces d’extrême gauche. Tout comme un demi-million de festivaliers. Retour sur trois jours de Fête de l’Humanité au parc Georges Valbon de la Courneuve, du 12 au 14 septembre. 

 

Photo Roxane Duboz

Photo : Roxane Duboz / Parlons Info.

 

Une tête d’affiche alléchante et éclectique

Cette année, la programmation musicale de la Fête de l’Humanité avait de quoi faire envie même aux moins militants. Très variée, elle réunissait des pointures : Alpha Blondy a donné une coloration reggae à la grande scène vendredi soir, avant de laisser la place à la référence britannique du trip-hop, très attendue, Massive Attack. En début de soirée, passage plus discret de Temples, quatuor au succès grandissant dans la sphère du rock psyché. Grand habitué des lieux, Bernard Lavilliers a retrouvé son public de fidèles, dimanche, pour la huitième fois. Mais c’est la soirée de samedi qui a marqué le temps fort du week-end musical, et qui fut peut-être la plus consensuelle. IAM, mastodonte du rap français, a réuni des adeptes du genre mais aussi beaucoup de curieux, venus voir le phénomène sur scène. Quant aux légendaires Scorpions, ils ont su enflammer le public de la Courneuve, vieux et jeunes confondus. Au moment du concert, il ne fallait plus espérer pouvoir envoyer des sms ou recevoir des appels : saturation du réseau.

Mais la musique à la Fête de l’Huma, ce n’est pas seulement sur la grande scène, bien qu’elle soit la plus fréquentée. Les scènes Zebrock et Jazz’Hum’Ah ont vu monter sur leurs planches des formations moins connues ; et de ci de là, on pouvait assister à de petits concerts, prévus ou totalement improvisés. Ils avaient lieux sous les chapiteaux des stands, sur la « petite scène », au détour d’une allée… Ils véhiculaient des messages politiques, ou s’occupaient simplement de faire chanter les passants, en reprenant des classiques populaires.

 

Convivialité, rencontres et partage

Mais la Fête de l’Huma ne peut se réduire à sa seule dimension musicale. Il s’agit avant tout de célébrer les valeurs de la gauche, et cela en faisant se rencontrer des milliers de sympathisants. Ainsi, le parc Georges Valbon se prête parfaitement à la convivialité : suffisamment grand pour ne pas oppresser les festivaliers, mais agencé en allées nombreuses et suffisamment étroites pour que les visiteurs se croisent dans la proximité.

Pour varier les plaisirs dans le partage, on peut jouer : manèges de fête foraine ou, pour les plus calmes, aire de jeux de société. La librairie de l’Huma, à l’entrée, permet de rencontrer quelques auteurs et d’acquérir des ouvrages spécialisés en politique.

Les nombreux stands des délégations nationales du Parti Communiste offrent la possibilité de découvrir les cultures des régions françaises, tant du point de vue gastronomique qu’historique et patrimonial. Au stand du PCF 90, découverte visiblement appréciée : le Pontarlier. Cet alcool régional est liquidé dès 19h le samedi, à la grande satisfaction des militants belfortains. Le lendemain, les voisins bretons braderont leurs crêpes, qui font toujours autant d’adeptes d’années en années ; un peu plus loin, le stand du Nord propose de déguster la « Belle Rose », une bière typique lilloise… Assurément, trois jours ne suffisent pas pour découvrir toute la richesse du terroir français ! Et parce que l’humanité ne se restreint évidemment pas à la France, tout bon visiteur se doit d’aller faire un tour au village du monde. Là, se côtoient des dizaines de stands étrangers, dans un véritable festival de couleurs, de senteurs et de saveurs.

Dans toutes les guinguettes, jeunes et vieux se mélangent, discutent de tout et de rien, de politique parfois, mais avouons le : plus l’heure se fait tardive, plus l’ambiance devient festive. Alors vient le moment de la danse. Bals populaires improvisés se mettent en place, autour de musique sono. Il est déjà tard, certains rejoignent les sorties, et en chemin s’arrêtent volontiers, attirés par le refrain des « Démons de minuit »… ou autre.

A noter toutefois, un retour sur terre assez brutal pour une grande partie des festivaliers du samedi soir. Peu après une heure du matin, impossible de prendre tram ou métro à la Courneuve. Les entrées sont fermées, les policiers ne proposent pas de solutions de secours. Sans savoir si des bus de nuit viendront enfin les cueillir, des dizaines de personnes ont du entamer une longue marche à pied en direction de Paris, et les plus chanceux ont pu finalement s’entasser dans des véhicules providentiels.

 

Rassemblement des forces pour la rentrée politique

La Fête de l’Humanité a enfin, et surtout, un but clairement politique et partisan. Les forces d’extrême gauche présentes font entendre leurs mots d’ordre. C’est aussi l’occasion pour les partis, le PCF surtout, de recueillir des adhésions, et pour le quotidien l’Humanité, de vendre des abonnements.

De façon plus générale, l’état d’esprit est ouvertement et joyeusement de gauche, et nombre de messages reviennent un peu partout. Parmi eux, on remarque surtout un franc soutien aux populations palestiniennes victimes du conflit contre l’État d’Israël. Slogans, drapeaux et portraits de Marwan Barghouthi (militant du Fatah, détenu depuis 2002 et actuellement emprisonné à la prison d’Hadarim) sont visibles sur l’ensemble du site. On note aussi une critique de l’interventionnisme américain en Irak ou ailleurs – ceci fut notamment très revendiqué par le groupe Massive Attack, sur l’écran de fond de scène. L’altermondialisme se fait sentir, avec un net refus du controversé TAFTA (Trans-Atlantic Free Trade Agreement, un accord de libre échange en discussion entre l’Europe et l’Amérique du Nord). Au niveau national, la politique gouvernementale est fustigée, et l’on reproche à François Hollande – et son premier ministre plus encore – de ne pas mener une réelle politique de gauche.

Tous ces messages ont été véhiculés par les militants, à la rencontre du public ou autour de tables rondes. Jérôme Kerviel, symptôme des dérives de la finance, était invité à l’une d’elle.

L’idéologie générale a également été exprimée sur les scènes, les artistes présents étant tous de sensibilité de gauche ou altermondialiste. La cause palestinienne a même bénéficié d’un concert entier, où HK, Kerry James, Médine et Gaza Team ont exprimé leur indignation vis-à-vis de la politique militaire israélienne, ainsi que leur appel à une aide internationale.

De plus, de nombreux débats thématiques ont été organisés. Beaucoup d’entre eux tournaient autour de la question de l’identité de la gauche aujourd’hui. Car c’est aussi ce que vise la fête de l’Humanité cette année : redéfinir et réaffirmer la gauche radicale, à l’heure de la montée du Front National et de la dislocation idéologique du Parti Socialiste. A ce titre, le meeting final de dimanche s’est voulu lucide mais pas fataliste. La gauche est blessée, mais elle est bien vivante : c’est en substance le constat qu’à fait Patrick Le Hyaric, Directeur du quotidien l’Humanité, avant la Marseillaise et la traditionnelle Internationale de clôture, chantée à trois reprise par la foule.

Dans l’édition de ce week-end, le quotidien publiait un sondage inédit de l’IFOP, décliné en infographies sur plusieurs pages. Celui-ci tend à montrer que le clivage droite-gauche demeure encore aujourd’hui une forte réalité en France, et ainsi que le peuple de gauche, fort de ses valeurs, est bel et bien présent et vivant. A l’issue de trois jours d’une grande fête teintée de rouge, on peine effectivement à penser le contraire.

Roxane Duboz