Les résultats des élections législatives anticipées sont tombés : sans surprise, Syriza, le parti de gauche radicale dirigé par Alexis Tsipras, l’emporte d’une large avance sur Nouvelle Démocratie, parti du premier ministre sortant Antonis Samaras. L’essor de cette formation minoritaire devenue un parti de masse s’explique par le refus de l’austérité dans une Grèce affaiblie par la crise. Cette victoire ouvre des perspectives nouvelles et suscite des débats dans l’Union Européenne. 

 

Le logo de Syriza (Thierry Ehrmann - Licence CC)

Le logo de Syriza (Thierry Ehrmann – Licence CC)

L’essor d’un parti de gauche qui refuse l’austérité

C’est un parti neuf, dont la naissance remonte à 2004. Issu d’une coalition de plusieurs formations politiques d’extrême gauche, Synaspismos notamment, Syriza devient un parti officiel en mai 2012, avec pour leader Alexis Tsipras, âgé de 40 ans.

Aux élections législatives anticipées, cette même année, Syriza avait enfin réalisé sa percée tant attendue, avec un score de 16,78% qui lui faisait totaliser 52 députés à la Vouli, le parlement grec. Désormais, Syriza devient et reste le deuxième parti politique du pays, toujours derrière Nouvelle Démocratie (le parti de droite libérale du premier ministre sortant, Antonis Samaras), mais devant le Pasok, les sociaux-démocrates qui ne parviennent alors qu’au modeste résultat de 13,2%.

Face à l’ascension de Syriza, Nouvelle Démocratie parvient à former une coalition qui compte les centristes, la gauche démocrate (DIMAR) et le Pasok dans ses rangs ; dès lors, le parti d’Alexis Tsipras se présente comme la seule alternative de gauche radicale.

A la faveur de la crise économique et financière sans précédent qui frappe le pays depuis six ans, Syriza, crédité de près de 33% des intentions de vote dans les derniers sondages, a remporté hier soir les élections législatives anticipées avec 36,5 % des voix. Il devance Nouvelle Démocratie de plus de 7 points; les néo-nazis d’Aube Dorée arrivent à la troisième place avec 6,3%, suivi de très près par le parti To Potami, centriste (5,7%). Cependant, avec 150 sièges au parlement, la majorité n’est pas absolue, et deux choix se présentent désormais à Tsipras : former un gouvernement de coalition avec d’autres petits partis, ou demeurer un gouvernement minoritaire qui bénéficiera du soutien de ceux-ci.

Pour beaucoup d’observateurs, la victoire de Syriza s’explique par une grande lassitude du peuple grec, épuisé de l’austérité imposée par les créanciers européens, austérité présentée comme la seule solution pour sortir de la crise. Mais si la situation semble désespérée dans la péninsule hellénique, avec une dette qui s’élève à 175% du produit national brut et un taux de chômage qui touche un quart de la population active, des réalités plutôt positives sont moins connues mais encourageantes. Ainsi, en faisant abstraction des dépenses exceptionnelles et du soutien au secteur bancaire, le déficit grec de 2013 est de 2,1% seulement, et l’excédent primaire s’élève à 0,8% à peine du PIB. Autrement dit, si la Grèce n’était pas étranglée par les cordages d’une dette quasi impossible à rembourser, il apparaîtrait clairement que l’administration nationale collecte plus qu’elle ne dépense…

Ces considérations, néanmoins, restent insuffisantes pour la Troïka (FMI, Banque Centrale, Commission européenne), qui impose l’austérité jusqu’à l’horizon 2016 au moins. Dans ce contexte, Syriza séduit avec ses propositions radicales, diamétralement opposées à la rigueur exigée par Bruxelles qui semble mener à une impasse : la gauche de la gauche catalyse la contestation populaire en ouvrant un horizon inédit.

 

Enthousiasme et espoir de changement en Grèce et en Europe

 Si Syriza applique à la lettre son idéologie, les changements peuvent survenir rapidement en Grèce. En effet, dans son « programme de Thessalonique », le parti a présenté quatre piliers sur lesquels repose son projet. Un projet qui envisage de bouleverser l’organisation sociétale, économique et institutionnelle du pays.

Syriza envisage en premier lieu d’apporter une réponse efficace à l’urgence humanitaire que connaît une part importante de la population grecque. L’accès à l’électricité, au chauffage, à l’alimentation figure dans les priorités du parti, ainsi que la gratuité des transports pour les plus démunis, et l’aide aux retraités. Les mesures humanitaires apparaissent de plus en plus nécessaires, notamment dans la capitale ou des ONG d’aide aux sans-abris fleurissent, répondant à une demande croissante. Syriza souhaite également sortir de la crise en redynamisant la consommation des ménages, ce qui passe par une élévation du niveau de vie.

La relance de l’économie « réelle » (opposée à une économie financière) est envisagée, par la création d’une série de mesures d’affranchissements fiscaux, le financement des coopératives et petites entreprises, l’investissement massif dans l’emploi (création prévue de 300 000 emplois)…

Les travailleurs constituent également un des quatre piliers du programme de Syriza, avec un encadrement strict des droits des salariés, une législation du travail rétablie et l’augmentation du nombre de bénéficiaires de l’allocation chômage.

Enfin, le parti de Tsipras entend refondre l’organisation institutionnelle de l’Etat et de ses institutions. Dans un État largement centralisé, Syriza veut développer la gouvernance locale et créer de nouvelles instances de démocratie directe. De plus, il est prévu que l’ERT (Elliniki Radiofonia Tileorasi, l’ancien groupe audiovisuel public grec) soit réintroduit dans le paysage médiatique ; les médias privés seront plus étroitement contrôlés et les médias locaux seront développés.

Toutes ces mesures devraient coûter plus de 12 milliards à la Grèce, une somme que le futur parti de gouvernement envisage de trouver dans la relance, les économies réalisées dans la lutte contre l’évasion fiscale, et la réaffectation des ressources des programmes d’aides européennes et mondiales.

Si certains observateurs dénoncent cette politique menée à coups de baguette magique, le programme de Syriza a de quoi faire rêver ailleurs en Europe. Pablo Iglesias, le leader de Podemos en Espagne (nouveau parti de gauche radicale) a exprimé son enthousiasme pour le « retour de la souveraineté nationale » dans les pays du Sud de l’Europe, principales victimes de la crise économique. De son côté, Jean-Luc Mélenchon en France espère un « effet domino » et attend un « printemps européen », faisant écho aux propos de Tsipras pour qui la victoire de Syriza « serait un tournant historique pour l’Europe ». Ce dernier était présent aux côtés du leader français gauche radicale le 12 avril 2014 à Paris, lors de la marche organisée contre l’austérité.

Ces nouvelles formations (Syriza, Podemos…), aux leaders jeunes et qui ne sont pas issus de familles d’élites (un phénomène dénoncé en Grèce pour les partis Nouvelle Démocratie et Pasok), usant largement des réseaux sociaux, répondent peut-être aussi à un besoin de renouveau institutionnel et de participation réelle à la démocratie.

Lundi 19 janvier, au gymnase Japy à Paris, un rassemblement de soutien à Syriza a vu se réunir de nombreuses personnalités de gauche radicale, mais aussi des écologistes comme Sergio Coronado ou Cécile Duflot… le temps d’une grande alliance à la gauche du PS serait-il venu, encouragé par le souffle nouveau venu de Grèce ?

 

Alexis Tsipras et Pablo Iglesias (Fanis Xouryas - Licence CC)

Alexis Tsipras et Pablo Iglesias (Fanis Xouryas – Licence CC)

 

Quels enjeux pour la Grèce au sein de l’Union Européenne ?

 Mais pour d’autres, le rêve pourrait vite tourner au cauchemar. C’est ce que prévoient les scénarios catastrophes pensés par plusieurs dirigeants libéraux, Angela Merkel en tête. Le plus redouté serait celui de la « Grexit » : comprendre une sortie de la Grèce de la zone Euro, voire de l’Union Européenne. Cela sonnerait comme un échec cuisant pour l’union des 28.

Alexis Tsipras lui-même évoquait d’abord un abandon de l’euro et un retour à une monnaie nationale, s’attirant par là le soutien de… Marine Le Pen elle-même. De plus, le leader a mis en avant la proposition controversée d’effacer de moitié la dette grecque restante. Une déclaration qui a vu se dresser une levée de bouclier en Europe, Angela Merkel déclarant au Spiegel qu’elle refuserait toute concession à la Grèce, Christine Lagarde rappelant qu’ « une dette est une dette »,  Jean-Claude Junker jugeant pour sa part cette situation « effrayante ». Au cœur de cette tempête médiatique, la sortie de la zone Euro se détachait comme l’épée prête à tomber sur le pays de Damoclès. La menace a été énoncée plusieurs fois par la chancelière allemande.

Mais les discours semblent s’être modérés ces derniers jours. Peut-être avant tout parce que la loi européenne est formelle : l’appartenance d’un pays à la zone euro est irrévocable. Le scénario de la « Grexit » ne pourra se faire que si la Grèce ne le décide d’elle-même, et lance une procédure visant à devenir un État membre de l’U.E. sans l’Euro, sur le modèle britannique.

Or Syriza ne revendique pas explicitement la sortie de la zone euro ; ce sont les conséquences de son programme politique qui peuvent le faire penser. Tsipras est conscient qu’une telle mesure risquerait de faire fuir les investisseurs étrangers, d’isoler la Grèce sur les marchés financiers européens, et également de mécontenter la population dont près de 70% exprime le souhait de rester dans la zone euro.

Ainsi, les premières mesures « radicales » de Syriza risquent fort de se voir modérées avec l’accès au pouvoir. Le contexte européen de ces derniers jours semble plus favorable au nouveau parti, qui a lui-même corrigé et adouci son discours anciennement europhobe. Les compromis seront nécessaires à Syriza qui pourra gagner un peu d’air en négociant une restructuration de la dette, mais sans l’effacer définitivement.

Il semble désormais essentiel d’accorder temps et confiance à la Grèce, qui s’apprête à expérimenter une gouvernance inédite en Europe. Désireuse de revenir aux valeurs de solidarité et d’entraide qui ont construit l’Union Européenne à ses débuts, Syriza ouvrira-t-elle un nouveau chemin aux vingt-sept autres États membres ?

 

Roxane Duboz

Le logo de Syriza (Thierry Ehrmann – Licence CC)