À La Réunion, le mouvement de grève des « gilets jaunes » a presque pris une tournure de guerre civile. Les affrontements entre manifestants et forces de l’ordre ont été très musclés. Incendies en tout genre, magasins vandalisés, les débordements en marge des manifestations sont nombreux. Si les couvres feux mis en place dans plusieurs villes pour la sécurité des habitants ont été rapidement levés, la tension reste forte. Par ailleurs, le blocage de nombreux secteurs d’activité a arrêté la vie économique de La Réunion. Un lourd bilan est à déplorer.
La chambre de commerce et d’industrie a évalué les pertes entre 600 et 700 millions d’euros pour l’ensemble des entreprises de l’île. Dans le secteur agricole, les constats sont alarmants. En pleine campagne sucrière, 150 000 tonnes de cannes ont dépéri pendant plusieurs jours dans les usines. Acheminement impossible à cause des blocages des routes, les négociations de vente entre usines et producteurs sont complexes. Une année noire pour le secteur qui a déjà souffert de nombreuses pannes et des trois cyclones qui ont ravagé l’île.
Une pénurie de marchandises
Depuis le début de la grève, les stations services réunionnaises ont été prises d’assaut par les manifestants. Les nombreux blocages empêchant l’approvisionnement de marchandises, a finalement donné lieu à une pénurie de carburant et de gaz. Depuis la reprise, seules 70 bouteilles de gaz environ par station sont livrées chaque jour. Résultat, de nombreuses enseignes limitent la distribution de l’or noir aux consommateurs.
Sur les côtes, le grand port maritime est remis en marche depuis quelques jours. Les dockers ont repris leur travail. Les importations bloquées et détournées ont enfin retrouvé leur trajectoire, mais des centaines de conteneurs restent encore en attente sur les quais. Seuls les médicaments ont été autorisés à la livraison. « Il y a une bienveillance des gilets jaunes à notre égard, explique Bruno Oller, pharmacien du groupe de société d’importations des pharmaciens de la Réunion (SIPR) sur Réunion 1ère. Nous avons six fois plus de stock qu’un grossiste métropolitain. Donc pas de pénurie à court terme pour un patient réunionnais. Nous avons dû réaliser des livraisons de nutrition entérale et d’oxygène, des moments de difficultés ces dernières semaines mais encore une fois grâce à la bienveillance des gilets jaunes, nous avons pu accéder aux patients. »
Les denrées alimentaires, n’ont pas eu ce traitement de faveur. Le réapprovisionnement des marchandises se fait progressivement mais difficilement dans les rayons. Résultat : une pénurie dans de nombreux supermarchés et la hausse des prix sur les rares produits de premières nécessité présents en rayon. Un cercle vicieux dont les consommateurs des milieux les plus défavorisés sont finalement les grands perdants. Actuellement, 40 % de la population réunionnaise vit en dessous du seuil de pauvreté.
« Le travail ne fait que commencer »
Le département a obtenu le gel des taxes sur le carburant jusqu’en 2021, bien avant l’annonce de son annulation par le Premier ministre. « Cette décision de la région répond à une urgence. En les gelant, nous répondons à l’attente des manifestants et anticipons également sur les trois prochaines années. » avait annoncé Didier Robert, président de la région, le mois dernier. Quelques jours plus tôt, l’hôtel de région où il siège avait été attaqué par plusieurs manifestants dénonçant des trop perçus de salaires. Une contestation également entendue. En fin novembre, vêtu d’un symbolique gilet jaune, Didier Robert a lancé un appel aux élus politiques réunionnais : « un homme, un mandat, une fonction». Montrant l’exemple, il a démissionné du poste de président de la société publique locale des musées régionaux qu’il occupait en plus de la présidence de région. Un appel qui n’a pas eu beaucoup d’échos, seuls deux conseillers municipaux, Jean Yves Ratenon et Juliana MDhoima ont démissionné de leurs autres fonctions. Un conseil de citoyens a également été mis en place, pour faire remonter les revendications.
L’une des principales contestations : le chômage, qui touche 23 % de la population active de La Réunion et 40 % des jeunes. Depuis trois ans, ce chiffre stagne et ne réduit pas. En cause, une trop faible création d’emplois des entreprises et la baisse des contrats-aidés. Vivement critiquée par les « gilets jaunes », cette baisse a été inversée, suite à la visite de la ministre de l’Outre-mer, Annick Girardin. « J’ai obtenu avant mon arrivée ici à La Réunion 500 contrats de plus pour des CDI dans les entreprises, et 500 pour le secteur associatif qui devront par contre être attribués avant la fin de l’année 2018 » s’est-elle réjouit. Le 3 décembre, Amaury de Saint-Quentin, préfet de La Réunion, a signé la mise en place de 500 parcours emplois-compétences (PEC) supplémentaires pour le secteur associatif réunionnais. Une enveloppe qui s’ajoute à celle des 900 PEC proposés actuellement sur l’île. Les recrutements de ces contrats se feront par l’intermédiaire des services de Pôle Emploi où 180 000 Réunionnais sont inscrits.
Ce chiffre explique en partie l’irritation de la population face au coût de la vie. Dans l’alimentaire, les produits sont 37 % plus chers qu’en Métropole selon Adrien Baudelaire, directeur de l’INSEE à La Réunion. Une vague de contestation de cette inégalité avait déjà secoué l’île en 2009. Un panier « bouclier qualité-prix » (BQP) a été mis en place depuis 2012, avec la loi Lurel pour fixer les tarifs des produits de première nécessité. Actuellement, ce BQP compte 109 produits pour un total de 288 euros. Trop cher pour les « gilets jaunes », qui ont obtenu une réduction de 10 % par la ministre de l’Outremer : « Je souhaite que le prix maximum de ce panier ne dépasse pas la moyenne constatée sur l’année 2018. Certains remettent en cause la composition du panier. J’ai donc demandé que les 20 produits les moins vendus soient remplacés par des produits équivalents de qualité supérieure.» Insuffisant pour les Réunionnais, qui appellent à nouveau à un blocage les 10 et 11 décembre.
« Le travail ne fait que commencer. Bien sûr que ce n’est pas une visite de trois jours de la ministre qui va régler 40, 50 ans de construction de ce territoire » a confié elle-même Annick Girardin, lors de sa visite le 1 er décembre. En effet, plusieurs revendications n’ont pas encore obtenu satisfaction. Même si le mouvement s’affaiblit, difficile de dire quand cette grogne populaire s’apaisera.