« Il n’y a que deux types de personnes qui pensent qu’une croissance infinie est possible, ce sont les fous et les économistes. Il faudrait trois à cinq planètes pour satisfaire nos besoins en ressources naturelles d’ici 2050. C’est impossible. » Voilà l’amer constat que pose le moine bouddhiste et scientifique Matthieu Ricard lors d’une conférence organisée le 15 octobre à Lannion (Bretagne). Également traducteur-interprète du dalaï-lama, il développe suite à la publication de son nouvel ouvrage Plaidoyer pour l’altruisme, une réponse aux maux de nos sociétés.

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Matthieu Ricard explique que les enfants privilégient la coopération et la bienveillance à l’égoïsme (Photo: Konchog/ Licence CC)

« L’altruisme n’est ni un idéal, ni un luxe, c’est une nécessité »

Matthieu Ricard explique que cet état d’esprit et d’action doit être la meilleure alternative à l’individualisme et au narcissisme régissant nos systèmes économiques et sociétaux. Ce serait le seul moyen qui concilie ces trois échelles de temps que sont les exigences du court terme économique, du moyen terme de la qualité de vie, et du long terme de l’écologie. Et cela est loin d’être inaccessible si l’on en croit ses propos.

C’est avec sérénité et rigueur que le moine bouddhiste présente son idée de la véritable nature de l’être humain aux spectateurs venus en masse. Réfutant les thèses néo-classiques de Homo œconomicus, individu qui cherche à maximiser ses propres profits de manière rationnelle, il prône l’Homo altericus. C’est à dire un homme accordant la même valeur à ses propres aspirations qu’à celles d’autrui. Chacun l’est par nature. Matthieu Ricard entend bien le démontrer en s’appuyant sur des thèses scientifiques, économiques et sociologiques.

L’homme meilleur qu’il ne le pense

Il affirme par exemple d’après des études récentes que dès le plus jeune âge les enfants privilégient la coopération et la bienveillance à l’égoïsme, un caractère qui se retrouve également chez les animaux.
Un bon signe est aussi révélé car la banalité du bien est toujours supérieure à celle du mal. « Bien sûr » dit-il, « si un acte innommable est commis, ce sera en première page des journaux. Mais la vie quotidienne est beaucoup plus fait d’entraide, de gestes civils… Regardez, nous sommes tous réunis paisiblement aujourd’hui. A la sortie, nul ne dira : c’est génial, personne ne s’est tapé sur la figure dans cette soirée. »
La vision que beaucoup se font de la réalité serait ainsi trop pessimiste. En moyenne en Europe, les individus regardent trois heures et demi la télévision par jour. Cela signifie qu’un jeune par exemple va voir 2600 meurtres dans l’année. 60 % des programmes contiennent de la violence, ce chiffre augmente à 70 % pour les programmes pour enfants.
Au contraire, le nombre de cas de violence aurait largement diminué au fil des années. Entre 1990 et 2010, le nombre de maltraitances à l’égard des enfants aux États-Unis par exemple, aurait diminué de moitié. De même pour les violences domestiques qui demeurent tout de même la première forme de violence au monde.
La lutte pour la vie devrait se faire davantage par la coopération plutôt que par la concurrence.«La bonté nous stupéfie car nous refusons de la reconnaître comme une caractéristique humaine naturelle. Alors nous cherchons longuement une motivation cachée, une explication extraordinaire à ce comportement si particulier. Ne cherchons par des explications mystérieuses à la bonté chez les autres, mais redécouvrons plutôt le mystère de la bonté en nous-mêmes.»

Comment mettre en place l’altruisme ?

Il faut d’abord des changements personnels. Ceux-ci permettront ensuite d’influer sur la culture de la société.
Selon Matthieu Ricard, la méditation est l’un des moyens de favoriser l’altruisme. Elle permet une meilleure prise en compte de soi-même et de son environnement, et donc de mieux comprendre autrui. La violence en est ainsi réduite. A l’occasion d’une étude où des moines bouddhistes ont médité à l’intérieur d’IRM, il a été mis en évidence que cette longue pensée dirigée vers l’altruisme entraîne l’activation de zones cérébrales liées aux émotions positives : affiliation avec l’autre, amour maternel…. Plus la pratique de la méditation sur ce sujet est régulière, plus ces zones sont développées. Le tout serait de prendre enfin conscience de la richesse du lien social qui entoure les individus au quotidien.
Une expérience produite dans une école a par exemple été citée. Pendant dix semaines, des enfants ont effectué trois fois sept minutes de méditation tous les sept jours. En plus de travaux coopératifs, il a été observé que la générosité s’est largement développée.

L’intervenant finit par poser l’idée de sobriété heureuse. Les liens sociaux redécouverts, les personnes pourraient alors mieux se détacher du matérialisme et de la consommation frénétique. La notion d’harmonie durable prend alors le pas sur celle de développement durable qui ne remet pas en cause le « toujours plus ».

« L’altruisme n’est pas être un paillasson » rajoute le moine. La bonté incombe parfois de savoir être ferme envers quelqu’un lorsque cela est pour son bien. Cela implique que ce ne soit pas fait dans un but personnel ou de manière malveillante. « Comme un père envers l’enfant », conclut-il.

Gwenvaël Delanoë et Yonathan Van der Voort