A l’issue de cette période d’élections départementales, il n’est pas vain de constater que certains partis politiques manquent à l’appel. A chaque élection, le modèle du tripartisme semble s’imposer, masquant l’existence d’une multitude de formations politiques rarement évoquées dans les médias.

 

Des petits et des grands

Lorsque l’on s’intéresse aux micro-partis politiques, deux grandes familles sont à distinguer. D’une part, il existe une constellation de partis satellites rattachés aux grands partis traditionnels. Présents sur tout l’échiquier politique, du Parti Socialiste à l’UMP en passant par le Front National : chacun dispose de ses propres filiales. L’Article 4 de la Constitution de 1958 précise que ces partis politiques « se forment et exercent leur activité librement », de même qu’ils sont soumis aux règles de financement qui régissent les partis politiques traditionnels. Toutefois, ces micro-partis se présentent bien souvent comme des associations, des comités de soutien… La plupart du temps, ces micro-partis se forment autour de l’action d’un homme ou d’une femme politique au niveau local, tel que L’association Nationale des Amis de Nicolas Sarkozy, l’Alliance Alpes-Méditerrané (les Amis de Christian Estrosi) créée en 2006 ou encore A gauche besoin d’optimisme, parti politique fondé en 2009 autour de Manuel Valls.

A quoi servent-ils ? Le plus souvent, leur existence permet de contourner la loi sur le financement des partis politiques, qui plafonne à 7 500 euros par an les dons d’un particulier à un parti. C’est lors de l’affaire Woerth-Bettencourt que l’existence des micro-partis fut révélée médiatiquement.

Les « autres »

Tous ces petits partis ne descendent pas toujours d’un grand-frère politique. Il existe de nombreux mini-partis qui revendiquent une indépendance assumée. Régionalistes, royalistes, pro-européens ou encore défenseurs de la ruralité…  Il est difficile de dresser un portrait unique de ces partis aux revendications des plus variées. Parfois assimilés à des sectes, certains de ces partis ont pu être dissous en vertu de l’Article 4. D’autres subsistent encore aujourd’hui, certains se présentent même régulièrement aux élections. A ce propos, ils ne risquent pas de peser lourd dans un scrutin comme celui des départementales qui fonctionne selon les règles du suffrage majoritaire à deux tours. Impossible pour ces mini-partis de percer face aux plus grands.

Combien sont-ils ? D’après la Commission Nationale des Comptes de Campagnes et des Financements Politiques, le nombre de partis politiques français s’élève à 408 en 2014. Seuls 298 partis ont déposé leurs comptes certifié à la Commission, parmi lesquels de nombreux micro-partis au nom parfois étonnant.

Défenseurs des traditions rurales

Revendications écologiques non « punitives », valorisation des traditions régionales et du service public dans les campagnes : le parti de Frédéric Nihous est un habitué des élections, y compris des présidentielles. En 2007, le candidat de Chasse Pêche Nature et Traditions obtient 1.15% des voix au premier tour, avant d’appeler son électorat à voter pour Nicols Sarkozy au second. Proche de la droite conservatrice, le parti revendique le droit de chasse et déplore le manque de volonté politique de la majorité à ce sujet. « Ségolène Royal pose un lapin aux chasseurs et Stéphane Le Foll les prend pour des pigeons ! », titrait l’un des articles du blog de CPNT. Dans une vidéo postée sur ce même site, on peut entendre le président du parti se plaindre que « rien a été fait » pour la ruralité et que « les problèmes sont toujours là […], pire, la ministre de l’écologie Ségolène royale refuse de signer la dérogation pour les chasseurs ». A la fin de son message, Frédéric Nihous appelait à une forte mobilisation lors des élections départementales pour sanctionner le PS.

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Campagne du Cambrésis (Licence CC)

Toujours dans un courant politique de droite aux valeurs rurales, le Mouvement Hommes Animaux Nature présidé par Jacques Leboucher milite de son côté pour que le statut de l’animal comme « être vivant et sensible » soit reconnu dans le Code Civil, et pour que l’ « aide aux personnes âgées ou démunies » soit mieux respectée. Mettre fin à l’expérimentation animale et réfléchir aux rapports que les hommes entretiennent avec les animaux sauvages et domestiques : telles sont les revendications du Mouvement qui présente sur son site les résultats des élections législatives de 2007 et 2012, sur fond de paysage montagneux.

Régionalismes

Parmi les micro-partis revendiquant une autonomie régionale, la Bretagne se place au premier plan.  Au côté du Parti Alsacien, et du Parti de la Nation Corse, quatre mouvances politiques se disputent les revendications d’une Bretagne libre. L’une d’entre eux, Adsav (« renaissance »), milite depuis 2011 pour la restauration du Parlement Breton dissous pendant la Révolution Française. Il est possible d’avoir accès aux « 210 propositions pour la Bretagne » en téléchargeant le programme politique du Parti du Peuple Breton. Outre la promotion de la langue bretonne, le parti qui se présentait lors de sa création comme « la droite nationaliste » entend toujours militer pour la création d’un « Etat indépendant breton » choisissant «le camp de l’identité populaire».

Drapeau breton (Licence CC)

Drapeau breton (Licence CC)

Même région, à l’autre bout de l’échiquier politique : l’Union Démocratique Bretonne lutte pour une forte décentralisation du pouvoir étatique depuis sa création, en 1964. Disposant d’un groupe au Conseil Régional de Bretagne, l’Union Démocratique Bretonne est également représentée au niveau municipal avec 78 élus en 2008, ainsi qu’à l’Assemblée nationale depuis 2012. Le parti affirme inscrire son action dans le cadre d’un « débat démocratique », appelant à une meilleure régulation de l’économie de marché et une plus équitable redistribution des richesses. La charte disponible en accès libre laisse aussi transparaitre les positions écologistes du parti : sortir du nucléaire et œuvrer « pour un développement durable qui préserve l’avenir de la planète et des générations futures. » Concernant les élections départementales, l’UDB revendiquait fièrement les 90 candidat.e.s entré.e.s en lice dont 75% en « toute autonomie », le reste étant affilié à différents partis de Gauche.

Changement de régime : « Plus fort que Robespierre ! »

« Les membres de l’Alliance royale sont des citoyens français de bonne volonté désireux d’agir pour le bien de leur pays et considérant que la solution royale est la seule réponse possible à la profonde crise institutionnelle, politique, sociale et morale que traverse notre pays. » Le ton est donné. Fondée en 2001 par Yves-Marie Adeline, L’Alliance royale propose aux français.e.s une solution qui peut faire sourire : restaurer la monarchie. Tout en se pliant au jeu constitutionnel, le parti affirme la pleine souveraineté du roi, au-dessus des lois. L’objectif affiché de L’Alliance royale est avant tout de sortir du « carcan idéologique républicain » et de tout ce qui s’y rattache. Aussi le clivage Gauche – Droite n’est pas reconnu par le parti, de même pour la plupart des faits politiques ayant suivis la Révolution Française de 1789. C’est bel et bien cet événement qui semble poser problème, comme le souligne Sandrine Pico-Deprez, déléguée générale, lors d’un discours de commémoration de la mort de Louis XVI, « roi martyr ». La Révolution n’a, du point de vu de L’Alliance royale, jamais pris fin. Le parti n’hésite pas à passer par les élections pour se faire entendre et revendique ces élus lors des municipales de 2014. Concernant les départementales, aucun.e candidat.e n’a été présenté.e. En même temps, il s’agit d’une élection liée à la question territoriale qui remonte à… la Révolution.

Solidarité, Écologie, Autogestion et Féminisme 

Tels sont les quatre piliers du Mouvement Alternatives et Autogestion, fondé en 1998 et membre de la coalition du Front de Gauche. Dans un projet de lutte contre les discriminations aspirant à l’égalité « pour toutes et tous », le Mouvement entend se lever contre un « capitalisme ultra-libéral et autoritaire qui détruit les acquis sociaux ». A l’opposé des politiques productivistes, le Mouvement affirme son désir d’une démocratie directe, d’un meilleur service public et d’une reconnaissance de l’autogestion au sein des entreprises françaises. L’enjeu n’est autre que de changer le système tel qu’il est en place aujourd’hui. Comment ? En faisant la Révolution. Finalement, quand certains partis y voient la cause de tous les maux d’une République en crise, d’autres souhaitent renouveler l’expérience : les micro-partis français ont de quoi étonner.

Pluralisme politique : qu’en est-il vraiment ?

Pourquoi la plupart de ces formations politiques refusent-elles de se rattacher aux grands partis traditionnels ? Leur volonté de conserver une telle indépendance n’est pas sans incidence sur la conception du pluralisme en politique, en particulier dans le cadre d’un régime qui se dit démocratique. Cela revient à s’intéresser au poids politique que ces micro-partis, si peu présents dans les médias, occupent dans le débat public.

« Les partis politiques sont les enfants de la démocratie », écrivait Max Weber dans Le Savant et le politique (1920). Leur rôle déterminant dans l’alimentation du débat politique est avérée, notamment à travers l’émergence de questions sociétales et la confrontation des idées qu’ils font émerger. Justement, les micro-partis naissent souvent autour de questions bien spécifiques que n’abordent pas les partis traditionnels généralistes. Deux exemples illustrent cette idée : la question régionaliste et la question européenne.

Le chercheur Thierry Dominici affirme dans son étude sur Le système partisan nationalitaire corse que « l’observation participante et le repérage du discours politique dans les différentes mouvances nationalistes nous apprennent notamment que la dimension de la question Corse dépasse l’image quelque peu simpliste car, partielle et imprécise donnée par les médias ». Il ajoute que ces différentes « forces politiques (légale et clandestine) ne peuvent peser sur le système politique comme des partis d’oppositions classiques tout au plus elles semblent agir comme deux types de partis antisystèmes », non conformes pourrait-on dire. Absents de la scène politique électorale, « les partis régionalistes subissent un ostracisme idéologique de la part des partis traditionnels et se trouvent placées aux antipodes du paysage politique », rappelle le sociologue.

Les micro-partis, jugés marginaux, se retrouvent bien souvent exclus des voies de communication traditionnelles qu’offrent les médias aujourd’hui. L’exemple des partis politiques européens, qu’ils soient nationaux ou transnationaux, est tout aussi parlant. Dans un article intitulé « La contribution des partis politiques au niveau européen à la formation d’un espace public européen : perspectives de relance du processus d’intégration », C. Castor essaie de comprendre le rôle joué par ces partis,  qui « ne semblent pas répondre à la définition traditionnelle du parti politique ». Contraintes institutionnelles, désintérêt des électeurs et nationalisation des clivages politiques européens… Les hypothèses susceptibles d’expliquer le faible poids de ces acteurs politiques sont finalement assez nombreuses.

Afin de mieux comprendre les spécificités de ces partis politiques et les raisons de leur absence dans le débat public, de prochains articles s’attacheront à dépeindre chacun de ces partis pour mieux appréhender l’arène politique telle qu’elle est, un espace qui ne se réduit définitivement pas au tripartisme que l’on connait.

 

Léa Duperrin