Edito – Alors que le premier tour de l’élection présidentielle approche à grand pas, il est temps de dresser le bilan d’une campagne décevante et clivante.

Affiches_presidentielles_2017

Image : Vpe / Licence CC

La bonne tenue des primaires semblait  augurer d’une belle confrontation de projets fondamentalement différents, de débats d’idées intéressants et – osait-on vraiment l’espérer? – enrichissants.   La réalité de la campagne s’est révélée d’autant plus affligeante.

Loin de nous offrir des débats de haute volée avec des propositions sérieuses pour affronter les cinq années à venir, les candidats ont trop souvent cédé à la tentation de l’attaque – parfois très caricaturale – des programmes, voire, dans certains cas, d’une interprétation hautement personnelle des programmes de leurs concurrents. Même des candidats comme Benoît Hamon ou Emmanuel Macron, qui paraissaient a priori éviter cet écueil, n’ont pu résister en fin de campagne à adresser quelques pics à leurs concurrents.

Dans une course effrénée aux voix avec pour toile de fond les affaires judiciaires auxquelles étaient confrontés deux des quatre candidats ayant – selon les sondages – une chance d’accéder au second tour, la nuance a parfois cruellement fait défaut, et ce d’autant plus que l’échéance électorale approche. Si un candidat comme Hamon a pu, en pure perte, édulcorer la proposition emblématique ayant contribué à son succès lors des primaires, d’autres n’ont pas hésité à radicaliser leur discours pour tenter de s’assurer du soutien envers et contre tout de leur noyau dur de militants. Marine Le Pen, qui prônait il n’y a pas si longtemps une « France apaisée », est revenue à la bonne vieille recette familiale du rejet de l’immigration et du repli sur soi.  François Fillon, dont la candidature a pu paraître compromise au plus fort des révélations concernant sa vision – loin d’être unique chez les parlementaires – de l’emploi familial, a pallié les multiples défections par la présence toujours plus prépondérante au sein de son équipe des membres du mouvement Sens Commun, émanation droitière de la Manif pour tous.

Cette radicalisation de certains discours s’est accompagnée de déclarations totalement fausses, voire parfois d’un degré de conspirationnisme qu’on s’attendait plutôt à voir chez François Asselineau ou Jacques Cheminade. Entre le fameux « cabinet noir » qui œuvrait à la destruction de l’ancien Premier ministre de Nicolas Sarkozy, et les mystérieuses « autres attaques » du 20 avril, l’autoproclamé candidat de la vérité n’a pas hésité à mettre en avant des faits alternatifs – jusqu’à preuve contraire, du moins. Marine Le Pen n’a pas hésité – en dépit du bon sens – à affirmer qu’avec elle « il n’y aurait pas eu d’attentats« . Elle a d’ailleurs mis en péril des années de travail de « dédiabolisation » lors de déclarations polémiques sur le « Vel’ d’Hiv », la colonisation en Algérie ou encore les protestants.

Quant au lynchage anti-médias  et, de façon presque plus grave, anti-justice, de certains candidats, il serait bien trop long d’en dresser un inventaire exhaustif. De Jean-Luc Mélenchon à Marine Le Pen, les candidats n’ont pas lésiné sur les critiques – ce qui est acceptable et sain dans une démocratie – et les attaques – ce qui l’est moins – envers les médias. François Fillon, lui, a parfois préféré sécher des interviews à défaut de choisir les thèmes sur lesquels il serait interrogé.

Tous ces éléments ont abouti à une campagne déplorable, une campagne menée majoritairement dans la division plutôt que le rassemblement. Et c’est peut-être cela qui est le plus lamentable. Dans un pays meurtri par les attaques terroristes, où les inégalités sont bien présentes, où le nombre de chômeurs et de personnes vivant sous le seuil de pauvreté est loin d’être négligeable, il est dommage de voir une majorité de candidats surfant sur les divisions au lien de chercher un rassemblement tourné vers l’avenir. Trop souvent, les discours ont opposé la France à l’Europe, le Français de souche à l’immigré, l’ouvrier au patron, le « peuple » dont la définition fluctue énormément à une oligarchie politico-judiciaro-médiatico-financière aux contours tout aussi flous. Sur des sujets aussi importants que la laïcité, la relance de l’économie, la situation en Syrie, les raisonnements binaires, manichéens, ont pris le pas sur des réflexions plus nuancées. C’est alors sans surprise que les taux d’abstention et d’indécision ont été aussi élevés dans les sondages qui ont rythmé ces derniers mois.

Espérons que les deux qualifiés pour le second tour nous offriront un spectacle plus digne dans les deux semaines à venir.