Un vent de populisme s’est répandu dans le monde. De Trump à Bolsonaro, d’Orban au Brexit, un mouvement planétaire de repli sur soi, de méfiance envers les autres, de rejet des élites politiques, économiques et médiatiques, s’est développé. S’il ne saurait être justifié, ce mouvement peut être expliqué par des sociétés de plus en plus fracturées, où les inégalités semblent croître indéfiniment.

 

Un ras-le-bol compréhensible

La France n’est pas une exception. La société française semble toujours plus fracturée, sur fond d’un niveau de vie qui parait se dégrader pour les plus démunis, et même les classes moyennes. Une sensation de déclassement envahit la France rurale et périurbaine, touchée de plein fouet par une vague de désertification médicale, de disparition des services publics. Il s’ensuit de façon tout à fait logique un sentiment d’abandon des laissés pour compte de la mondialisation.

Cette situation est, entre autres, le fruit d’une inaction politique qui n’a que trop duré, de réformes pourtant nécessaires qui ont été repoussées par manque de courage des gouvernements – de gauche comme de droite -, par peur de la rue.

 

Les gilets jaunes étaient mobilisés à Belfort. Crédits : Thomas Bresson (Licence CC – Wikimedia Commons)

 

Dans ce contexte, on ne peut qu’adhérer au ras-le-bol des « gilets jaunes ». On ne peut que comprendre leur besoin de s’exprimer, voire leur défiance (certes plus ou moins justifiée) envers les élus et les corps intermédiaires.

 

Les limites du mouvement des « gilets jaunes »

Cela ne dispense pas toutefois de pointer les maladresses de ce mouvement, des lacunes provenant pour certaines de son essence même de mouvement citoyen spontané.

Il ne s’agit pas de s’étendre sur les dérapages inacceptables qui ont émaillé la contestation des « gilets jaunes ». Les cas de violence, d’homophobie, de racisme qui ont marqué certaines manifestations ne sont, espérons-le, pas représentatifs de la majorité des participants à ce mouvement. Même s’ils étaient malheureusement à prévoir – de même que les morts et les blessés qui ont tristement marqué l’actualité – dans des manifestations et des barrages routiers souvent non déclarés donc difficilement sécurisés par les autorités compétentes.

Au-delà de ces dérives marginales, causées pour l’essentiel de groupuscules de casseurs extrémistes coutumiers du fait, il semblerait que le mouvement des « gilets jaunes » soit marqué par des maladresses portant en elle les germes d’un échec si elles ne sont pas adressées.

La première complication – et non des moindres – est l’absence de revendications claires. Ou a contrario un catalogue trop ambitieux de revendications, fluctuant selon les interlocuteurs, qui rend les demandes des manifestants inaudibles. La cacophonie revendicatrice occulte malheureusement des demandes qui sont parfois fort légitimes et méritent une attention plus poussée de la part des élus. D’autant plus quand certains membres interrogés paraissent relayer des fake news.

La deuxième se trouve au niveau des modes d’actions. La frustration et le sentiment de ne pas être entendu rendent compréhensible la volonté des « gilets jaunes » de mener des actions marquantes d’un point de vue médiatique. Mais à termes, bloquer le pays risque de faire diminuer l’adhésion des autres citoyens. Les plus touchés par ce mouvement, ce qui ont le plus à y perdre, ne sont pas les ministres et les députés. Ce sont plutôt les employés empêchés de se rendre sur leur lieu de travail, les commerçants perdant du chiffre d’affaire… Ce qui est encourageant, c’est que de nombreux manifestants semblent avoir pris en compte ce paramètre et adapté leurs modes d’action en conséquence.

Mais il est un point bien plus inquiétant qui perce parfois au travers de certains discours des « gilets jaunes », en particulier ceux qui appellent à une destitution du président de la République. Certaines déclarations laissent poindre une forme d’incompréhension du fonctionnement de la démocratie telle qu’elle s’exprime au sein de notre République française. Car notre système de gouvernement est certes imparfait mais il est fondé sur l’élection de représentants (élus locaux, parlementaires, président…) par le peuple. C’est donc principalement par les urnes que les citoyens sont appelés à s’exprimer, non pas dans la rue.

 

Et si c’était le début d’un mouvement positif ?

Ces constats étant posés, que peut-on retenir de ce mouvement ?

Il faut tout d’abord admirer l’émergence d’un mouvement citoyen spontané, se réjouir de la volonté de milliers de citoyens d’agir pour se faire entendre. Les tentatives électoralistes de récupérations politiques opérées de façon plus ou moins discrètes par certains partis en sont d’ailleurs d’autant plus pitoyables.

Mais il est dommage que ce mouvement ne se limite pour l’instant qu’à un ensemble de revendications vagues, qu’à une expression de « contre ». Pourquoi toute cette volonté citoyenne ne serait-elle pas dirigée vers une véritable révolution sociétale et environnementale ?

La formidable énergie citoyenne déployée par les « gilets jaunes » ne pourrait-elle pas être mobilisée de façon constructive par le biais de projets locaux, solidaires et environnementaux ?

On paie aujourd’hui le prix d’années d’inaction. Trop longtemps, par facilité, on a laissé aux générations futures des dettes économiques et écologiques croissantes, bientôt irréversibles.

Si ce mouvement débouche sur une multitude d’actions visant à reconstruire les liens au sein d’une société fracturée, de pousser à plus de justice, à un respect de la planète sur laquelle on vit, alors il sera une réussite.  S’il débouche au contraire sur un statu quo, à un maintien de la défiance envers le gouvernement, à l’impossibilité de mettre en place des mesures permettant d’assurer une amélioration de la situation écologique et économique du pays, alors nous nous exposerons certainement tôt ou tard à une situation encore plus catastrophique.

Il faut agir avant qu’il ne soit trop tard. Quoi qu’on puisse penser de leurs revendications, les « gilets jaunes » ont raison sur un point fondamental, nous devons tous être acteurs dans la vie de notre société et de notre pays. Que ce soit par le biais des urnes mais aussi au sein d’engagements associatifs ou par de simples actions du quotidien (tri sélectif, utilisation privilégiée des transports en commun, aide aux plus démunis…), les citoyens ont tous un rôle fondamental à jouer.

David Bolton est co-fondateur et directeur de la publication de ParlonsInfo.