Laurent Obertone … Un nom qui ne vous disait encore rien il y a un an mais qui ne laisse plus personne indifférent aujourd’hui. Le journaliste de presse régionale devenu écrivain avait en effet suscité la polémique lors de la publication de son premier ouvrage, La France orange mécanique ; un essai où il observait l’augmentation de la violence dans notre société. Il revient avec Utoya, un récit documenté sur le massacre d’Anders Behring Breivik, qui a coûté la vie à 77 personnes le 22 juillet 2011. Entretien.
Parlons info: Comment vous est venue l’idée d’écrire sur cette affaire ?
Laurent Obertone : J’ai été fasciné par ce thème dès le début ! Je prends régulièrement des notes sur tous les sujets d’actualités qui m’intéressent et la tuerie de masse de Breivik en faisait partie. Ce n’est que le 24 août 2012, jour du verdict par le tribunal d’Oslo, que j’ai décidé d’écrire ce livre. Les conclusions des experts psychiatriques m’ont interpellé et j’ai commencé à me poser des questions. Comment être condamné à une peine de prison de 21 ans reconductible pour 77 assassinats, tout en étant sain d’esprit, vu qu’il a été jugé responsable de ses actes ? C’est tout ce paradoxe qui m’a intéressé dans l’affaire Breivik.
PI: Comment s’est passé votre investigation pour répondre à cette question, et arriver à cerner le personnage qu’est Anders Behring Breivik?
LO: Je me suis rendu à de nombreuses reprises en Norvège. J’ai pu visiter l’île d’Utoya mais également d’autres endroits qui ont jalonné la vie de Breivik comme la maison de sa mère, sa ferme (où il vivait pour pouvoir fabriquer des bombes à l’abri des regards). J’ai également eu accès aux dossiers d’instructions et aux rapports d’autopsies. Par contre, je n’ai pas souhaité rendre visite à Breivik en prison, bien que j’aurais pu. Sa mégalomanie l’amène à jouer avec les médias et lui rendre visite n’aurait donc rien apporté de plus au livre.
Je m’en suis donc tenu aux documents officiels mais également aux témoignages de la population norvégienne et des survivants de la tuerie d’Utoya. Tout le pays a vécu un énorme traumatisme. Certains ont encore du mal à prononcer le nom de Breivik. Ils se livrent peu, parlent peu de l’affaire. De plus, ce qui m’a beaucoup étonné lors de mes voyages, c’est que la sphère politique n’a pas instrumentalisé la tuerie. Le parti de Breivik a gagné de nombreux sièges lors des législatives dans ce pays, ce qui montre que les Norvégiens arrivent à séparer les idées des actes de l’homme, que tout le monde ne peut que désapprouver. Il semble y avoir une négation des faits et un manque d’analyse autour de cette affaire.
PI: Dans Utoya, vous faites le choix d’écrire à la première personne, et troublez de ce fait le lecteur en entrant dans la tête du tueur.
LO: Au départ, je devais écrire tout le livre à la première personne du singulier mais l’ambiance en devenait trop étouffante. J’ai donc choisi de le couper avec des faits pour laisser au lecteur le temps de souffler et de revenir à la réalité. C’est donc un récit documenté où je laisse le lecteur se faire sa propre idée.
Par ce genre particulier, j’ai voulu expliquer les détails de l’affaire et montrer la face cachée de l’homme qui a commis ces crimes. Le sentiment de toute puissance qui l’anime n’avait pas encore été exploité, je voulais donc entrer dans sa tête pour essayer de comprendre un acte fou, perpétré par un homme minutieux et déterminé. Au début, en travaillant sur sa personnalité, je pensais que Breivik était le fruit de son époque. Mais le problème central, c’est lui, pas la Norvège. Il s’est crée tout seul.
PI: C’est donc une histoire vouée à continuer?
LO: Les problèmes vont commencer dans une dizaine d’années, quand Breivik demandera sa première libération. En Norvège, l’inquiétude est déjà palpable dans les familles des victimes. De plus, en prison, il est en train d’écrire des ouvrages qui seront publiés dans le pays, au nom de la liberté d’expression et des droits de l’homme. De nouveaux manifestes où il reprendra les thèses d’autres auteurs, les assemblera à sa manière pour servir sa thèse.
Camille Wormser