Le Front national a fini en tête dans les élections européennes en France, avec 25% des voix exprimées. 

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« Choc« , « séisme« , « éruption volcanique » : les responsables politiques interrogés sur les plateaux de télévision ont rivalisé d’expressions pour décrire le résultat du Front national aux élections européennes. Pourtant, le score du FN aux municipales ainsi que les sondages parus ces derniers jours laissaient présager une telle victoire pour le parti dirigé par Marine Le Pen. C’était un score auquel on pouvait s’attendre, un vote de contestation peut-être, mais aussi d’adhésion. Un vote qui, en conjonction avec une abstention massive, est un signe que les autres partis – PS et UMP notamment – ne peuvent plus prendre à la légère.

On assiste à une victoire du FN, à la consécration de la stratégie de dédiabolisation menée par Marine Le Pen, mais on assiste peut-être surtout à l’expression d’un profond désamour, d’une méfiance accrue, des électeurs français envers les partis et les responsables politiques qui ont gouverné le pays ces dernières années.

 

Une responsabilité partagée

L’annonce d’un tel score pour le FN semble avoir secoué les différents responsables politiques présents sur les plateaux de télévision. Jean-Luc Mélenchon évoque une « pluie acide« . Si certains, à l’image de Manuel Valls qui reconnait dans ce vote une « crise de confiance » de la part des Français ou d’Alain Juppé qui admet une « défaite sévère pour la droite et le centre« , d’autres – Jean-François Copé et François Fillon en tête – ont déjà lancé le bal des procès en responsabilité de cette montée du parti de Marine Le Pen, et tiennent pour premiers responsables les socialistes et le gouvernement actuellement en place.

Et il est vrai qu’on ne peut nier un désamour marqué et grandissant des Français envers les politiques menées par François Hollande. Les socialistes viennent de subir deux larges défaites électorales d’affilées. Les voix d’oppositions aux mesures annoncées ou mises en place par les gouvernements Ayrault puis Valls s’élèvent tant à l’extrême-gauche, qu’au centre, à droite et à l’extrême-droite. Et, depuis quelques mois, la fronde monte aussi chez les écologistes et au sein même du Parti socialiste.

Mais les socialistes et le gouvernement actuel ne sont pas les seuls responsables de la montée du Front national.

Tous les responsables politiques et les élus, tous les partis dits « majoritaires », portent une part de responsabilité. La multiplication des affaires des principaux partis de droite comme de gauche, les règlements de compte entre « amis », les querelles d’égos au sein même des différentes formations politiques, l’image renvoyée de politiciens professionnels cumulards et déconnectés des réalités de la vie de « monsieur tout-le-monde »…. Tout cela contribue à attiser une colère de la part d’électeurs qui vivent la crise au quotidien. Tout cela contribue à augmenter la méfiance des citoyens envers leurs représentants au sein des assemblées – qu’elles soient locales ou nationales. Tout cela permet d’offrir un terreau fertile au développement des idées du FN, et notamment celui du rejet de ce que Marine Le Pen appelle « l’UMPS« .

Les responsables politiques commencent à percevoir la nécessité de trouver une nouvelle approche de la politique. Rama Yade appelle par exemple « l’ensemble de la classe politique à se remettre en cause », Rachida Dati, elle, parle de faire de la politique « différemment ». Il est d’ailleurs intéressant de voir qu’en Allemagne, où les conservateurs d’Angela Merkel sont en coalition avec les sociaux-démocrates, ces deux grands partis de gouvernement sont arrivés en tête lors des élections européennes.

 

Un désintérêt français envers les élections européennes

Si ces résultats aux élections européennes ont une certaine résonance sur le plan national, il faut toutefois garder à l’esprit que ce sont des élections pour le parlement européen. Il est donc difficile de faire de façon précise et objective la part des choses entre un rejet de la politique actuelle menée par le gouvernement sur le plan national, et un rejet de l’Europe.

Le parti mené par Marine Le Pen a certes fini en tête lors des élections européennes mais on ne peut pas pour autant le déclarer « premier parti de France », ni même tirer la conclusion défendue – entre autres – par Jean-Marie Le Pen qu’une dissolution s’impose.

Le Front national a certainement atteint de si hauts niveaux parce qu’il a su jouer tant sur un rejet de l’Union européenne que sur une mise en avant de la possibilité d’utiliser ces élections – qui se sont déroulées jusqu’aux résultats dans une quasi-indifférence générale – comme un moyen d’émettre une fois de plus un vote contestataire. C’est ce qu’a d’ailleurs dénoncé José Bové en évoquant une « contestation stérile« , un vote « pris en otage » par le FN.

Les listes frontistes ont reçu un nombre conséquent de voix, aussi parce que l’Union Européenne a actuellement mauvaise presse en France. Elle est au mieux ignorée – les médias ont consacré étonnamment peu d’émissions à cette élection – et au pire citée comme responsable de tous les problèmes auxquels est confronté le pays. Les Français ont encore en mémoire le vote par les parlementaires du traité de Lisbonne, alors que le « non » avait remporté le référendum précédent. Les négociations entamées avec les États-Unis visant à mettre en place une zone de libre-échange transatlantique (TAFTA) sont aussi critiquées par une part non négligeable des citoyens européens.

De plus, le fonctionnement exact de l’Union Européenne et l’importance des députés européens ne sont que très peu expliqués et mis en avant en France. Nombreux sont les électeurs qui devaient ignorer de façon précise comment les députés européens peuvent avoir un effet concret sur leur quotidien, en particulier dans une Europe où tout semble essentiellement passer par des hauts fonctionnaires européens coupés des réalités du terrain.

Last but not least, les inégalités en matière de salaires et d’imposition au sein des différents pays européens, et en particulier au sein de Schengen et de la zone euro, ont été exploitées astucieusement par les candidats frontistes, jouant aussi sur la peur de l’immigration et sur une forme de nostalgie existant chez certains désirant un retour au Franc.

 

Les raisons d’un tel score du Front national sont donc multiples mais quelques conclusions claires peuvent en être tirées. Sur un plan national, la crise de confiance tant envers le gouvernement actuel qu’envers les principaux partis politiques est de plus en plus visible. Un changement profond dans la façon de faire de la politique semble nécessaire. Sur un plan européen, la percée dans certains pays des partis eurosceptiques ne doit pas être ignorée. Le fonctionnement actuel de l’UE ne satisfait clairement pas une partie croissante de l’électorat européen.

Faute de changements majeurs de politique, tant au plan national qu’au plan européen, il est fort probable que le score frontiste ne fera qu’augmenter lors des prochaines élections.

David Bolton