Sur le fondement d’une analyse économique, le gouvernement a décidé de s’attaquer aux professions réglementées. Les notaires, dont le statut est remis en question par la réforme annoncée, protestent énergiquement en mettant en avant la qualité du service qu’ils proposent. 

 

 2014-09-25 14.59.05

Les contours d’une réforme annoncée

C’est un rapport non public de l’inspection générale des finances (IGF) qui a mis le feu aux poudres. Ce rapport, suivant la ligne politique de Bruxelles, préconise une libéralisation d’un certain nombre de professions réglementées. Le 10 Juillet 2014, le chantre de la démondialisation, l’ancien ministre de l’économie et des finances Arnaud Montebourg, annonçait avec enthousiasme les effets bénéfiques qui pouvaient être attendus de cette réforme à coloration libérale. Depuis lors, cette annonce a provoqué l’indignation de nombreux professionnels, dont les plus bruyants furent sans aucuns doutes les huissiers et les notaires. Le nouveau patron de Bercy, Emmanuel Macron, a tenu à apaiser le climat en assurant aux huissiers qu’ils conserveraient le monopole de la signification des actes et des décisions de justices, monopoles qui représente 60% de leurs revenus. De même, le capital des études d’huissiers ne sera pas ouvert. Néanmoins il faut s’attendre à une modification de la grille tarifaire des ces officiers ministériels. Devant cette modification d’intention l’assemblée générale des huissiers a voté, ce mercredi, la suspension de la grève qu’elle avait lancé.

S’agissant des notaires, le problème persiste. En effet, les extraits du rapport de l’Inspection générale des finances (IGF) ayant filtrés font état d’une volonté de libéraliser la profession. Cela signifie que tout professionnel du droit pourra rédiger les actes actuellement réalisés par eux.

Il faut rappeler que comme pour les études d’huissiers, les études de notaire sont numériquement limitées, et crées par arrêté pris par le Garde des sceaux, en fonction des évolutions démographiques d’un territoire donné. Une libéralisation de la capacité à réaliser les actes actuellement de la compétence des notaires, aurait pour effets de diminuer très fortement la valeur des offices notariales, ainsi que le revenu médian de ceux qui sont actuellement notaires ; revenu qui s’élève à 197 700 € par an selon l’INSEE. C’est la raison pour laquelle le conseil supérieur des notaires (CSN) a appelé à une grève le 17 septembre, qui a conduit à des manifestations dans les principales villes de France, avec comme toujours, la manifestation de Paris en vitrine du mouvement de protestation. Il faut relever que la réunion ayant eu lieu le Jeudi 18 Septembre, entre Jean Tarrade (président du conseil supérieur des notaires), Christiane Taubira et Emmanuel Macron, s’est avérée insatisfaisante, comme en témoigne la déclaration de M Tarrade par communiqué «Il reste encore beaucoup à faire pour parvenir à rapprocher les points de vue sur les conditions d’installation, sur la participation de capitaux extérieurs, sur le périmètre de l’authenticité sur les actes de famille et sur le tarif».

Un recul de la sécurité juridique des actes ?

Pour appuyer leur désaccord, les notaires, par la représentation de leur conseil national, font état du recul de sécurité juridique que pourrait induire une telle réforme. En effet, laisser la possibilité à tous professionnel du droit de rédiger les actes actuellement échus aux notaires pourrait remettre en cause la sécurité juridique des arrangements que formalisent ces actes. L’exclusivité dans la rédaction des actes assure l’existence d’un véritable savoir faire, aussi supprimer les notaires reviendrait à supprimer un savoir-faire spécifique, au profit d’un savoir-faire général.

L’ouverture du marché actuellement réservé aux notaires aura pour conséquence une plus grande concurrence en son sein. Cette concurrence qui doit faire baisser les prix, pourrait également induire une diminution de la qualité des actes. Cela pourrait engendrer de nombreuses erreurs de rédactions faisant exploser le contentieux. Il se pourrait également qu’une segmentation du marché de l’acte juridique apparaisse. En effet, d’un côté on trouverait les actes « low cost » support d’un contentieux important, tandis que de l’autre les actes haut de gamme seraient plus sécurisés Ainsi, comme l’annonce le CSN « le caractère redistributif du tarif permettant l’accès au droit des plus modeste » ne serait plus véritablement garantie.

Les notaire font état du fait que même si les actes consacrant des mutations patrimoniales en matière immobilière présente une rentabilité importante, cela n’est pas forcément le cas pour l’ensemble des actes qu’ils rédigent. En effet, les actes que les notaires sont amenés à rédiger dans le cadre des successions sont plafonnés par la loi. Ainsi, la rédaction d’un testament authentique ne peut excéder la somme de 117 €. De même l’émolument perçu pour la rédaction d’un contrat de mariage est fixé par décret à 125 €. Il s’agit là de la mission d’intérêt général confiée aux notaires.

Un des arguments avancés par les notaire et repris par le CSN est celui de l’explosion du contentieux. Pour appuyer cet état de fait, ils citent comme exemple le système Américain, où, d’après leurs dires, un acte sur 3 donne lieu à contentieux, tandis qu’en France ce serait moins d’un acte sur mille qui engendrerait contestation. Malgré une absence de précision quant à la provenance de ces chiffres, on peut s’interroger sur l’hypothèse d’une augmentation du contentieux qui aurait pour conséquence d’engorger un peu plus les tribunaux, tout en offrant de nouvelles perspectives aux avocats, qui, sans aucuns doutes, seraient les grands gagnants de la disparition des notaires.

Une libéralisation bénéfique ?

Le débat sur la suppression du statut de notaire s’inscrit dans une logique économique qui n’est pas nouvelle. En effet, la commission Armand-Rueff (avait été chargée de rechercher les obstacles à l’expansion économique), préconisait déjà, en 1960, la suppression pure et simple de la profession de notaire. Le rapport « Doing buisiness » de 2011 prescrit également de revenir sur le notariat pour favoriser la compétitivité de l’économie française.

C’est dans cette lignée que s’inscrit l’Union Européenne. En effet, un arrêt du 24 Mai 2011 rendu par la CJUE, relève que la fonction exerçait par le notaire relève du champs de la libre concurrence. Ainsi le statut protecteur du notaire ne se justifie pas par les missions d’intérêt général qui lui sont dévolues. Suivant cette logique, la commission européenne à fait recommandation à la France de réaliser cette réforme. Ce non respect des règles du marchés commun pourrait entraîner un recours en manquement, à même de donner lieu à une amende qui devrait être supporter par l’ensemble des contribuables. Dans le rapport à l’origine de l’initiative gouvernementale, l’IGF relève d’ailleurs que le coût d’une action en manquement pour non respect de l’article 43 du TFUE pourrait s’élever à 4,4 milliards d’euros.

Dans cette même logique économique, il apparaît qu’une libéralisation des missions dévolues au notaire permettrait de faire jouer la concurrence pour la réalisation des actes, et ainsi de faire baisser le prix que doit supporter le consommateur. En effet, les notaires font en moyenne 37% de profit, ce qui est bien supérieur aux taux de profitabilité des autres professions. L’introduction de plus de concurrence par la disparition du statut de notaire, ne manquerait pas de faire baisser ce taux de profitabilité, ce qui constituerait un transfert indirect de richesse des notaires, vers les consommateurs.

Bien que le nombre de transactions immobilières ait doublées depuis 1980, le nombre de notaires nommés par la garde des sceaux n’a simplement augmenté que 30% sur la même période, cela signifie qu’il y a eu un enrichissement relatif des notaires sur cette période. Devant cette augmentation, le CSN s’était engagé à ce que la barre des 10 000 notaires soit atteinte en 2000, ce qui n’a pas été le cas. D’autres engagements sur l’augmentation des effectifs ont été pris à l’occasion du rapport Attali de 2008. Le CSN s’était alors engagé à ce qu’il y ait 10 500 notaires en 2012, pour que puisse être atteint l’objectif de 15 000 notaires en 2015. Force est de constater que ces promesses sont restées lettres mortes car il y a actuellement 9 231 notaires en France. Dans ces conditions, il est difficile pour les notaires d’invoquer leur préoccupation pour la préservation des droits de leurs clients, lorsque cette préoccupation aurait dû les amener à augmenter leurs effectifs afin d’offrir une meilleure qualité de service.

Valentin Lemort