Dix ans après sa disparition, l’œuvre d’Henri Cartier-Bresson est exposée au Centre Pompidou à Paris jusqu’au 9 juin. Cette rétrospective montre pour la première fois l’ensemble de sa carrière. Loin de la volonté d’unification de son œuvre, plus que le personnage admiré du reporter humaniste, l’exposition dévoile une partie intime et cachée de l’artiste. Retour sur la carrière d’un artiste hors du commun. 

Photographie Henri Cartier-Bresson

George Hoyningen-Huene : Henri Cartier-Bresson, New York, 1935
The Museum of Modern Art, Thomas Walther Collection, Purchase, New York
© George Hoyningen-Huene : © Horst / Courtesy-Staley / Wise Gallery / NYC
Crédit photographique : © 2013. Digital image, The Museum of Modern Art, New York / Scala, Florence

 

Une nouvelle vision de l’artiste

A travers plus de 500 photographies, dessins, peintures et documents,  le Centre Pompidou revisite le XXe siècle vu par l’artiste, de ses plus grandes photographies à ses œuvres moins connues. Privilégiant les tirages réalisés à l’époque de la prise de vue, l’exposition vise à respecter la temporalité de la production d’image.

La plupart des rétrospectives consacrées à Cartier-Bresson se réduisent à la seule notion « d’instant décisif », celle de son art de la composition et son habileté à saisir le mouvement. Or son œuvre repose sur un ensemble de facteurs : un enseignement riche, de nombreuses aspirations personnelles, des capacités artistiques et beaucoup de voyages. Cette exposition propose de mettre en valeur la richesse et la diversité artistique de cet artiste majeur à travers trois différentes périodes. La première, de 1926 à 1935, pendant laquelle il débute la photographie, fréquente les surréalistes et réalise ses premiers grands voyages. La deuxième, de 1936 à 1946, représentant celle de son engagement politique, de son travail pour la presse communiste et de son expérience du cinéma. Et la troisième, de 1947 à 1970, s’étend de sa coopération avec l’agence Magnum à l’arrêt de sa carrière photographique. Une façon de montrer qu’il n’y a pas eu un,  mais plusieurs Cartier-Bresson.

Des débuts surréalistes

Le chemin d’Henri Cartier-Bresson ne le conduit pas directement à la photographie. Très tôt, Cartier-Bresson s’intéresse au dessin. Dès le milieu des années 1920, il peint aux côtés de Jacques-Emile Blanche et de Jean Cottenet avant d’intégrer l’académie d’André Lhote. Dans son atelier, il y apprend les lois de la composition et des proportions. Cet enseignement déterminant lui permet de comprendre l’esprit géométrique qui compose de nombreux clichés. A partir de 1926, il commence à fréquenter les surréalistes et réalise des collages sous l’influence de Max Ernst. Il y retient l’imaginaire et l’attitude surréaliste qui feront de lui l’un des photographes les plus surréalistes du XXe siècle. « Je suis profondément marqué par le surréalisme et j’ai essayé toute ma vie de ne pas  le trahir » confiait Cartier-Bresson à Yves Bonadé en 1972.

A partir des années 1920, il commence la photographie en amateur. Durant 5 ans, il parcourt l’Europe et le monde. Son premier voyage  en Afrique (1930-1931) marque une volonté de rupture, il formule sa vocation photographique. Influencé par son amour de l’art, l’enseignement d’André Lhote et ses amis- Julien Levy, Caresse et Harry Crosby, Gretchen et Peter Powel – sa culture photographique s’inspire du modernisme américain, du surréalisme français et de la nouvelle vision germano-soviétique.

Un engagement politique fort

En une décennie, Cartier-Bresson se forge une conscience politique et fait ses premières armes en tant que reporter. Comme la plupart de ses amis surréalistes, il partage une idéologie politique communiste. Ses premiers reportages commandés par la presse communiste traitent de sujets de société tels que les premiers congés payés de 1936. Il photographie également les rendez-vous politiques, notamment celui du couronnement de Georges VI en mai 1937.

Entre 1935 et 1945, il délaisse la photographie au profit du cinéma. Son rapport au cinéma est lié à son engagement politique. C’est aux États-Unis qu’il apprend la technique auprès de documentalistes. Il réalise ainsi son premier court-métrage « Return to life » en 1937  avec une équipe française issue de Ciné-Liberté. Il fait partie de la section «  Film et photographie » de la 3ème Armée pendant la Seconde Guerre mondiale et passe trois ans en captivité avant de rejoindre un groupe de résistants communistes. A la fin de la Guerre, il filme et photographie les ruines du village d’Oradour-sur-Glane, la libération de Paris et le retour des prisonniers d’Allemagne. Cartier-Bresson disait du cinéma qu’il lui avait « appris à voir ».

Un  photo-reporter reconnu

Les clichés réalisés de l’après-guerre à la fin des années 60 comptent parmi ses plus célèbres. En 1947, il inaugure sa première grande rétrospective au Museum of Modern Art (MoMA) de New York. Quelques mois plus tard, il fonde, avec Robert Capa, David Seymour, George Rodger et William Vandivert, l’agence Magnum qui devient plus tard l’une des références mondiales en matière de photo-reportage. Il s’engage alors pleinement en tant que reporter jusqu’au début des années 1970. Ses nombreux reportages à l’étranger lui permettent d’obtenir une reconnaissance importante et de travailler pour les plus grands magazines internationaux.

Il réalise en parallèle des séries de photographies autour des questions de société du XXe siècle, notamment sur la relation de l’homme à la machine ou la société de consommation. L’homme sera au centre de son travail dans ses reportages mais aussi dans des séries thématiques. Ces enquêtes étaient décrites par l’artiste comme une « combinaison de reportage, de philosophie et d’analyse (sociale, psychologique et autre) ».

À partir des années 1970, Cartier-Bresson délaisse progressivement son travail de reporter-photo face aux contraintes géographiques, techniques et matérielles que lui impose la presse écrite. Il consacre la fin de sa vie au dessin et à la valorisation de son œuvre. A sa mort en 2004, il laisse derrière lui plus de 300 000 clichés.

Camille Bour

Exposition Henri Cartier-Bresson au Centre Pompidou à Paris jusqu’au 9 juin 2014.