Le 21 décembre 2015, au moins 27 civils sont tués à Buldhoqo, près de la capitale de la République de Djibouti. Ce « massacre » – comme le qualifie la Fédération Internationale des Ligues des Droits de l’Homme (FIDH) – s’inscrit dans un contexte politique tendu à l’approche des élections présidentielles d’avril 2016.

 

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Le 21 décembre dernier, les forces de police et l’armée intervenaient violemment lors d’une cérémonie traditionnelle organisée à Buldhoqo, un bidonville annexe à Balbala – l’un des quartiers les plus peuplé de Djibouti – en prétextant une foule hostile armée de machettes et d’armes à feu. Cette justification du ministre des Affaires Étrangères djiboutiennes est immédiatement démentie par l’opposition qui dénonce une attaque planifiée contre ce quartier connu pour rassembler les adversaires du régime. Des membres de l’Union pour le Salut National (USN), une coalition de plusieurs partis opposés au régime, auraient été blessés, arrêtés et torturés.

Le bilan — encore provisoire — est tragique. Les autorités annoncent 7 morts civils et une cinquantaine de policiers blessés alors que la FIDH annonce au moins 27 morts. La Ligue Djiboutienne des Droits de l’Homme (LDDH), elle, en comptabilise 28 en plus d’une cinquantaine de blessés et d’une dizaine d’arrestations.

Par ailleurs, ce n’est pas la première fois que ce baraquement est visé. En effet, le 26 novembre 2013, les autorités avaient déjà rasé ce bidonville et expulsé les 4000 habitants de leurs habitats de fortune. Bien que le ministre de l’Intérieur prétextait que cet événement entrait dans le cadre d’un « programme de démantèlement des occupations illégales » et aurait permis l’arrestation de contrebandiers, d’autres témoignages d’anciens habitants dénonçaient plutôt des actes d’intimidation.

 

Une escalade de la violence s’inscrivant dans un contexte politique tendu

 

Le 18 décembre 1991 avait eu lieu un massacre à Arhiba – un autre quartier peuplé de la capitale – faisant au moins 59 morts à la suite d’une succession de rafles planifiées qui furent stoppées uniquement par le survol d’un hélicoptère de l’armée française dans la zone. Le suffrage parlementaire de 2013 avait causé la mort de 6 manifestants par balle. En octobre 2015, déjà, plus d’une cinquantaine de personnes avaient été arrêtées en raison de leurs liens familiaux avec des membres du Front pour l’unité et la restauration de la démocratie (FRUD), adversaires du pouvoir. De plus, cela était sans compter la centaine de militants sympathisants d’opposition emprisonnés depuis novembre 2015, ce qui augmente le bilan d’arrestation arbitraire à 300 civils en trois mois dont une large partie serait actuellement encore en prison.

 

 

Ces circonstances avaient déjà préoccupé la FIDH qui avait très tôt tiré le signal d’alarme sur la situation et sa possible dégénérescence. Cependant, même la présence de bases militaires occidentales n’ont pas pu empêcher le drame du 21 décembre. Parmi les blessés, M. Ahmed Youssouf Houmed – le président de l’USN – serait à l’hôpital pour une fracture du col du fémur des suites de la répression et M. Said Houssein Robleh – député de l’Assemblée Nationale – aurait été atteint par des tirs à la gorge.

Le mardi 5 janvier 2016, la FIDH réclamait une enquête sur ces événements pour tenter d’apporter une lumière médiatique sur l’urgence de la situation afin d’amener la communauté internationale à se saisir du problème. Les circonstances semblent, en effet, extrêmement préoccupantes à l’approche des élections qui auront lieu en avril 2016. En effet, M. Ismaïl Omar Guelleh – actuel président de Djibouti réélu en 2011 avec 94% des voix – avait modifié la constitution en 2010 pour se permettre de concourir à un quatrième mandat après avoir pourtant renoncé publiquement à l’élection pour calmer les tensions. Ce suffrage s’annonçait déjà très tendu depuis l’annonce officielle du président de revenir sur cette déclaration un an après la fin des négociations sur la création de commissions parlementaires multipartistes. L’opposition avait alors invité à boycotter le scrutin.

 

Une situation préoccupante, les civils menacés

 

Courant 2016, l’Afrique ne verra pas moins de 16 élections présidentielles se succéder au cours de l’année, chacune amenant sont lot de tensions et d’instabilités au continent. La situation à Djibouti n’est que la cristallisation d’une situation encourue depuis plusieurs années, à force de pressions politiques et ethniques. L’inaction occidentale n’est que le résultat de l’incapacité du droit international – reposant grandement sur le consentement des États – à permettre des interventions militaires autres que celles décidées par l’Organisation des Nations Unies (ONU).

La FIDH lance à présent, le 8 janvier 2016, un appel urgent concernant M. Omar Ali Ewado – fondateur et grande figure de la LDDH – actuellement entendu par la justice djiboutienne pour diffamation publique. L’ONG dénonce une « détention » et un « harcèlement judiciaire » de celui qui a publié un compte précis et détaillé des victimes et blessés des événements du 21 décembre. Elle somme Djibouti de cesser de porter atteinte à ce « défenseur des Droits Humains » : cela ne ferait effectivement qu’aggraver ce contexte explosif et pourrait mener à de nouvelles agressions potentielles.

Les risques de violence sont imminents et bien réels. Cela fait 25 ans que Djibouti est le théâtre de brutalités répétées à l’abri du regard du monde et le destin de ce petit État ne semble pas préoccuper la communauté internationale. Pourtant, tous se souviennent de la part de responsabilité de l’inaction de l’ONU dans les événement au Rwanda en 1994 qui ne sont que le reflet de l’histoire sanglante contemporaine de l’Afrique. La France se dit inquiète de la situation et les États-Unis n’ont pas encore réagi alors que ces deux pays disposent d’une présence militaire sur le territoire djiboutien pour lutter contre les shebabs. La Chine devrait déployer des forces armées en 2017, mais il est probable que ce soit déjà trop tard.

L’état des droits de l’homme et des civils à Djibouti semble plus que préoccupant. La situation ne peut que se dégrader — encore plus à mesure qu’approchent les élections d’avril — et la réaction internationale tarde à venir alors que le monde semble, une nouvelle fois, détourner le regard.

Bastien Mollet