À l’heure où l’Europe cherche un nouveau souffle, l’indépendantisme catalan interroge. La crise sociétale espagnole est suivie par le reste du continent, car l’issue du conflit influencera certainement le futur de l’Union Européenne.

Rappel historique

La Catalogne faisait autrefois partie du Royaume d’Aragon, qui a dominé pendant longtemps la méditerranée occidentale, alors que l’Espagne n’existait pas encore. Lors de l’union des Royaumes de Castille et d’Aragon, la Catalogne est donc incluse dans le Royaume d’Espagne. Cependant, l’identité catalane reste bien ancrée et une République de Catalogne est même déclarée juste avant la Guerre Civile. La rébellion contre le régime franquiste est d’ailleurs plus vigoureuse en Catalogne, que le gouvernement de Franco voulait rendre plus espagnole en interdisant même la pratique  du catalan. Depuis le retour de la démocratie, les revendications catalanes n’ont pas faibli, bien que la région jouisse, comme le Pays Basque et la Galice, d’un statut spécial, possédant son propre parlement, en majorité indépendantiste.

Un référendum illégal

Le désir d’indépendance ne disparaîtra pas de sitôt, les indépendantistes sont irrités par l’attitude de l’Etat centralisé qu’ils jugent méprisante. En Catalogne, l’avis de la population est toutefois partagé sur l’indépendance. Un référendum encadré, où les différents partis débattraient pendant plusieurs mois n’aurait peut-être pas eu la même issue.

Le référendum d’octobre dernier n’est pas le premier du genre. Déjà, de 2009 à 2011, des associations locales ont organisé des consultations populaires sur le futur de la Catalogne. Le 9 novembre 2014, une autre consultation est mise en place par la Generalitat (le gouvernement catalan) mais le Tribunal constitutionnel l’interdira. Dans les deux cas, les indépendantistes sont largement gagnants, ce qu’il faut nuancer en prenant en compte que les opposants à l’indépendance refusent d’aller voter. En effet, le taux de participation pour le vote du 9 novembre 2014 était de 47,63% seulement.

Le référendum du 1-O (pour 1er octobre) a quant à lui vu une participation encore plus basse avec 42% de votants : il est donc difficile d’évaluer la réelle valeur du vote indépendantiste qui atteint les 90,18%. Les conditions de vote ont aussi été chaotiques, car Madrid avait déclaré le scrutin anti-constitutionnel et avait envoyé la Guardia Civil, alors que la Catalogne est dotée de sa propre police, les Mossos d’Esquadra. Madrid a alors pris contrôle de l’autonomie catalane le 27 octobre, après une deuxième déclaration d’indépendance des Catalans

Or, selon certains responsables politiques comme Pablo Iglesias de Podemos, le gouvernement de Mariano Rajoy n’a pas rendu service à la démocratie espagnole, en répondant par la violence policière. Les images de cette journée ont fait le tour du monde, comme celles des policiers en train de saisir les urnes tandis que des indépendantistes entonnent des chants catalans. Certains reprochent à l’Espagne de revenir à des pratiques franquistes tandis que le gouvernement assure remplir son devoir en étant intransigeant avec les causeurs de trouble. Le parti au pouvoir, le Partido Popular (PP) ira même jusqu’à afficher un drapeau gigantesque sur la façade de son siège pour prouver son attachement à une Espagne unifiée. Podemos accuse aussi le PP de se servir de la crise catalane pour faire oublier leurs affaires de corruption qui rongent le parti depuis maintenant plusieurs années.

Le président de la Catalogne, Carles Puigdemont avait davantage à gagner en maintenant le scrutin pourtant illégal et en se présentant comme martyr du gouvernement espagnol. Les dirigeants politiques incarcérés rappellent cependant une période de l’histoire espagnole bien sombre et finalement pas si lointaine. Beaucoup de citoyens espagnols attendaient du Roi Felipe VI des paroles apaisantes, comme son père Juan Carlos avait pu le faire lors de la tentative de coup d’état en 1981, or son discours incriminant les Catalans qui voulaient voter n’a fait que conforter ceux-ci dans leur choix, et a même convaincu certains indécis de prendre parti pour l’indépendance.

L’exil de Carles Puigdemont

Suite au référendum catalan, Madrid a décidé de prendre des sanctions exemplaires. Ainsi, des responsables politiques catalans, pour la plupart membres du gouvernement, ont été incarcérés. Pour échapper à la prison, Carles Puigdemont s’est donc exilé en Belgique, dans la capitale européenne, Bruxelles. Ce choix symbolique a donné une dimension internationale à ce qui était une affaire espagnole. Cependant, l’Union Européenne qui jusqu’alors ne se prononçait pas sur le conflit, estimant qu’il s’agissait d’une affaire interne, ne reconnaît pas la Catalogne et par la voix de son président Jean-Claude Juncker assure que l’Espagne reste son seul interlocuteur. Seule l’Écosse soutient le mouvement indépendantiste qui pourrait influencer son propre sort. Des manifestations sont même organisées à Édimbourg et à Glasgow où les drapeaux catalans sont associés aux drapeaux écossais. Sur le plan médiatique, l’unique soutien notable est Pep Guardiola, l’entraîneur de football catalan de Manchester City passé par le FC Barcelone, qui arbore à chaque match le ruban jaune, symbole de solidarité envers ceux qui sont considérés comme des prisonniers politiques.

Le 21-D

Le Premier ministre Mariano Rajoy, suite à un conflit qui semblait sans issue avec deux parties peu enclines à faire des concessions, a pris la décision d’organiser des élections anticipées le 21 décembre 2017. Cependant les conditions étaient particulières et le débat presque impossible avec des représentants politiques en prison ou exilés, comme Carles Puigdemont qui s’exprime depuis Bruxelles. Il faut ajouter à cela que la Catalogne est sous tutelle de l’état espagnol depuis la mise en place de l’article 155 de la Constitution le 27 octobre.

Le 27/10/17, Mariano Rajoy annonce des élections anticipées en Catalogne  (La Moncloa, flickr.com)

Le 27/10/17, Mariano Rajoy annonce des élections anticipées en Catalogne (La Moncloa, flickr.com)

Les indépendantistes obtiennent une nouvelle fois la majorité avec 47,5% des voix et obtiennent donc la majorité proportionnelle au Parlement, de plus avec une participation correcte (79,09%). L’échec est encore plus cuisant pour les Conservateurs qui n’atteignent que 4,24% et sont privés de groupe parlementaire. A voir toutefois dans quelle mesure les indépendantistes arriveront à faire passer leurs idées ne disposant pas de la majorité absolue. Mariano Rajoy explique ce revers par un déplacement du vote vers Ciutadans, la branche catalane de Ciudadanos, un parti de droite libéral. En effet, toujours selon le chef du gouvernement espagnol, il n’est pas rare de voir les électeurs voter « utile » lors d’élections locales. L’actuel président du gouvernement catalan, Carles Puigdemont est actuellement exilé et considéré comme hors-la-loi.

L’enlisement de la situation

Alors qu’en est-il de la situation un mois après les élections ? Les choses n’ont pas vraiment changé. Carles Puigdemont a invité Mariano Rajoy à discuter mais ce dernier affirme ne vouloir discuter qu’avec Inés Arrimadas, la leader de Cuitadans, parti arrivé en tête avec 25,35% des voix. Le président catalan ne peut d’ailleurs pas récupérer officiellement son poste car il serait incarcéré dès son arrivée sur le territoire espagnol. Mariano Rajoy menace même de maintenir la Catalogne sous tutelle.

L’enlisement est donc total et personne ne semble prêt à faire un pas vers l’autre. Les indépendantistes continuent à réclamer une indépendance tandis que le gouvernement se refuse à tout dialogue avec ceux-ci. La solution pourrait venir d’un arbitre extérieur, mais l’Union Européenne ne semble pas disposée à jouer ce rôle.

La question catalane aura un impact important sur le futur de l’Europe et une solution à la crise devient urgente. Mais que faire des revendications indépendantistes en Italie, en Belgique ou ailleurs ? Sont-elles toutes à mettre sur le même plan ?

Valentin Aubin-Boivin