Le 13 septembre dernier, quatre hommes accusés de viol à New Delhi ont été condamnés à la peine de mort. L’Inde demeure pourtant un pays hautement sensible à l’égard du droit des femmes. Celui-ci est classé 4ème pays le plus dangereux au monde pour les femmes par l’agence Thomson Reuters, une femme y meurt toutes les heures à cause de la dot, d’après des données 2013 du Bureau National des Registres Criminels, et se place au 114ème rang sur 134 pays selon l’indicateur d’égalité entre les genres d’après le Forum Économique Mondial de 2007.

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L’Inde tente de réagir face aux mauvais traitements infligés aux femmes (Photo: Ekta Parishad / Licence CC)

Des traditions indiennes discriminantes

La dot, somme d’argent que la femme doit verser à sa belle famille au moment du mariage, y joue un premier rôle. En effet, il est considéré en Inde qu’une femme coûte spécialement chère. La promesse d’un mariage doit s’accompagner de présents onéreux peu accessibles par les classes moyennes. Par ailleurs, comme l’indique lors d’une conférence la professeure d’études et du développement de l’Université de Londres, Naila Kabeer, les femmes se marient en général à des castes plus élevées que leur situation d’origine. Ces castes, divisions héréditaires de la société indienne en branche hiérarchique de la population, mettent une pression financière accrue aux familles.

Ces mariages arrangés concernent les femmes dès leur plus jeune âge. Dans un article de 2010, l’UNICEF indique que 47 % des femmes indiennes entre 20 et 24 ans ont été mariées avant 18 ans.

Il se met en place un principe de déplacement de la femme vers sa nouvelle famille ; et ce, en perdant beaucoup de liens avec la famille d’origine. « C’est l’homme qui prend les décisions familiales et gère l’héritage » précise Naila Kabeer. De plus, contrairement aux hommes, les femmes ne peuvent alors plus s’occuper de leurs parents suite à un mariage.

Une double pratique s’opère en conséquence. En premier lieu, les parents, désirant par avance un certain nombre de garçons par rapport aux filles, usent de techniques médicales pour combler leurs attentes: l’utilisation de l’avortement sélectif est très fréquent. Le ratio de 914 femmes pour 1000 hommes en Inde dans la tranche d’âge des 0 à 6 ans en découle. Et au-delà, un phénomène très présent de viols est lié à ce large manque de femmes dans la société indienne.

Dans un second temps, les indiennes sont victimes de meurtrières représailles liées à la dot. Lorsque la famille de la mariée se trouve dans l’incapacité d’honorer cette dernière ou de l’augmenter suivant la demande familiale de l’époux, la belle famille finit par tuer la femme ou cette dernière se suicide. A cause de failles législatives et de délais dans le traitement des poursuites judiciaires, le taux de condamnation de ces crimes atteint seulement 32 % selon le Bureau National des Statistiques. Les peines suivies sont aussi fréquemment considérées comme trop clémentes.

De nouveaux mouvements sociaux en faveur des femmes

De nombreuses contestations s’opposent aujourd’hui à ces discriminations et peuvent laisser présager un futur féminin indien différent.

La peine de mort attribuée le 13 septembre à l’encontre des violeurs a pu uniquement aboutir légalement par le biais d’une nouvelle loi adoptée en mars dernier- soit trois mois environ après l’acte de viol dont il est question. En effet, un violeur adulte encourra désormais une peine d’au moins 20 ans de prison, pouvant aller jusqu’à la perpétuité voir la condamnation à mort en cas de récidive ou de décès de la victime. Décès qui a eu lieu pour la victime de New Delhi.

De plus, il apparaît au grand jour de nombreuses mobilisations féminines. Les « Brigades Rouges », groupe qui fonctionnait avec une quinzaine de membres puis qui a vu gonfler ses effectifs à une centaine suite au scandale du viol de New Delhi en décembre, en est un exemple.

« Les femmes désormais se dressent et vont se plaindre. Elles se sont débarrassées du poids de la culpabilité qui les paralysait jusqu’à présent. » explique l’avocate et militante indienne Vrinda Grover.

Le mineur de 17 ans ayant participé au viol à New Delhi illustre également une zone de contestation large. Sa peine, de trois ans de prison -correspondant à la peine maximale pour mineur- avait d’ores et déjà suscité une réaction des politiciens. Sushma Swaraz, la dirigeante de l’opposition à la chambre basse du parlement, dénonçait ainsi sur Twitter la légèreté de la peine et affichait sa volonté d’un nouveau projet de loi pour modifier les sanctions pour mineurs.La presse indienne rejoint par ailleurs cette mobilisation et juge la peine trop faible.

En 2010, Barack Obama en visite officielle, déclarait devant le parlement indien que « L’Inde n’est pas en train d’émerger, l’Inde a émergé ». L’Inde est aujourd’hui la 10ème économie du monde en matière de PIB nominal. Néanmoins, les succès de croissance et d’émergence économique du pays s’accompagnent de réalités sociales moins prestigieuses. Les pratiques de la dot, normalement interdite par une loi de 1961, ou encore des castes, interdits par la constitution restent ancrés et s’affranchissent des pressions politiques. Politiciens indiens, dont le président actuel de l’Etat, le vice-président, le premier ministre, et la quasi-totalité des ministres du gouvernement sont des hommes aujourd’hui. De quoi mettre en avant le vers Shakespearien « Gloire incertaine » repris par les économistes Jean Drèze, à l’origine d’une loi sur le droit à l’information en Inde, et Amartya Sen, prix Nobel d’économie en 1998, pour qualifier leur pays.

Yonathan Van der Voort