Editorial – Le 5 juin 2013, un jeune militant antifasciste, Clément Méric, a trouvé la mort suite à un coup donné par des skinheads. Une mort tragique qui s’inscrit dans un climat social de plus en plus malsain.

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Source : DR Arnaud Salvat.

C’est un choc quand apparaît sur le fil d’actualité du réseau social que l’on consulte, l’annonce de la mort d’un jeune militant de 18 ans. On n’ose pas y croire. Petit à petit, tous les médias confirment. Il n’y a plus de doute, le climat de division et de haine sourde qui traverse la société française depuis quelque temps a fait une victime.

Les larmes du sénateur UDI Yves Pozzo di Borgo sur un plateau de LCP sont compréhensibles. Un jeune qui s’engage politiquement dans un pays démocratique comme la France ne devrait pas mourir pour ses idées. L’engagement citoyen est une cause noble, indispensable pour le bon fonctionnement de notre société et de notre pays.

Mais voilà que, depuis un certain temps déjà, la confrontation a remplacé le débat d’idées, l’intransigeance a pris le pas sur la recherche de compromis, la caricature a détruit toute chance d’un climat de tolérance. Dans un pays où la situation économique et sociale demande un effort commun et une union, les divisions ont été continuellement renforcées. La violence a pris le pas sur l’échange de points de vue, et un jeune étudiant en est mort.

Qui sont les coupables ?

Comme toujours dans un tel cas tragique, dès les premières heures, les accusations de responsabilités plus ou moins directes dans la mort de Clément Méric ont fusé de toutes parts.

Si les circonstances exactes de l’agression de ce militant antifasciste ne sont pas encore connues de façon absolument certaine – il faudra attendre un procès pour cela -, ce qui transparaît de façon quasi-sûre, c’est qu’il serait mort à la suite d’un coup porté par des jeunes gravitant dans les milieux de l’extrême droite. Ces skinheads sont les coupables et les seuls responsables directs de cette agression – qu’ils aient répondu ou non à des provocations de la part de militants antifascistes.

Ni Marine Le Pen, ni les organisateurs des « Manifs pour tous » ont une responsabilité directe dans cette mort comme ont pu le laisser entendre certaines déclarations. Le développement de groupes de l’extrême droite radicale en France et en Europe n’a attendu ni la présidente du Front National, ni Frigide Barjot. On ne peut toutefois pas nier qu’une radicalisation des discours d’une partie de la droite a pu faciliter l’expression de ces groupes radicaux, qui ont pu profiter des « Manifs pour tous » pour s’offrir une vitrine médiatique – au point d’ailleurs où certains organisateurs desdites « manifs » ont dû renoncer à participer, de peur de faire eux-mêmes l’objet de violences.

Un climat malsain

Mais cette agression s’inscrit aussi dans un climat plus général de divisions fortes au sein de la société, un climat où la violence des discours empêche tout débat serein. La confrontation, le conflit, sont devenus les principaux modes d’expression dans la sphère militante et politique.

Et les responsables politiques, pourtant prompts à vouloir récupérer de tels événements tragiques, ont une part de responsabilité dans la détérioration des relations au sein de notre société et de notre pays. Les discours politiques sont empreints d’une violence croissante. Que ce soit la proposition de « nettoyer la racaille au Karcher », la promesse « Hollande veut du sang, il en aura ! » ou l’attaque contre les « 17 salopards », de tels propos de la part de responsables politiques ou militants ne font qu’envenimer la situation, attisent les haines et les divisions. Les tensions exacerbées par la violence des discours peuvent malheureusement mener à une violence physique.

La caricature et les idées à l’emporte-pièce, trop souvent mises en valeur par des médias friands de petites phrases qui créent le «buzz», renforcent une réflexion binaire : si tu n’es pas avec moi, tu es contre moi. Il ne s’agit plus de débattre, de tenter de comprendre le point de vue d’un autre et de trouver un compromis, il s’agit de combattre, d’imposer ses idées qui sont forcément les seules envisageables, ce qui ne fait que renforcer les divisions et les extrémismes. Les choses sont soit noires, soit blanches, il n’existe pas de nuances de gris.

Profitant d’une situation économique et sociale inquiétante, les populistes s’engouffrent dans la brèche et accroissent leur assise militante et électorale à coups de raccourcis, de critiques systématiques du « système », des politiques et des médias – qui, il faut bien l’avouer, ne sont pas dénués de défauts – sans toutefois proposer des solutions pragmatiques et crédibles.

Tout ceci crée un climat de tensions dont l’issue est tragique. Alors que l’engagement en politique devrait être un bel acte de citoyenneté, c’est malheureusement devenu un véritable combat au sens propre comme au sens figuré. Un combat qui se livre dans une atmosphère si malsaine que même durant le rassemblement à la mémoire de Clément Méric, certains dignitaires ont dû être évacués pour leur sécurité et une journaliste a même été prise à partie.

Somme toute, le plus bel hommage que l’on pourrait faire à la mémoire de Clément Méric, ne serait-ce pas de s’unir pour apaiser les tensions déchirant la société française, de créer les conditions d’un débat citoyen respectueux et tolérant, de surmonter cette peur – voire cette haine – de l’autre, bref de faire disparaître le terreau dans lequel croît l’extrémisme intolérant et violent que souhaitait combattre ce jeune militant au destin si tragique ?

David Bolton