Un notaire des Côtes-d’Armor se dresse contre la réforme des professions réglementées. Il explique les moyens d’actions des offices pour contrer le gouvernement. L’interview se fait anonymement : s’exprimer publiquement lui nécessiterait normalement une autorisation de la chambre des notaires (règlement national du Conseil supérieur du Notariat).

Photo: JLPC / Wikimedia Commons / CC-BY-SA-3.0

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Quelle a été votre réaction suite à l’annonce de la réforme ?
J’étais sidéré car j’ai pu lancer mon office il y a quelques années sans aucune relation et sans un seul euro en poche : les établissements bancaires nous suivent toujours. Aujourd’hui, l’énorme problème est que, comme tout nouveau notaire, j’ai acheté à crédit un droit de représentation pour exercer (ndlr : de 100 000 à 1 millions d’euros selon les offices, à rembourser sur une quinzaine d’années). La réforme ne prévoit pas d’indemnisations.

Quelles actions militantes entreprennent les notaires ?
Sauf les quelques grèves, les pétitions et l’information aux clients, il n’y en a pas réellement pour l’instant. La seule action continue est très minime  : dans le cadre des ventes de successions, nous demandons à l’État que les fonctionnaires envoient un document par la poste au format papier, et non plus par la voie numérique. Le but est de montrer à quel point la technologie que l’on a développée est primordiale. C’est un tout petit point, demain ce sera un autre point supplémentaire, et après-demain encore un autre.

Vous avez eu des retours de ce passage au papier ?
Non. Peut-être que là-bas la consigne est de ne rien dire. Et c’est normal, c’est une guerre de tranchées.

Ces actions ne risquent-elles pas d’être trop limitées ?
Il y a autre chose. On a une caisse de sécurité sociale. Elle est alimentée par 4 % de nos revenus, elle est donc très largement excédentaire, cet excédent est reversé à la sécurité sociale. Si la loi passe, cet excédent disparaît…
La deuxième phase sera différente. C’est l’arme absolue. Les notaires sont détenteurs d’un flux constant de 22 milliards d’euros à la Caisse des Dépôts et de la Consignation, c’est l’ensemble des fonds de leurs clients. Comme nous sommes sous tutelle du Ministère de l’Économie et de la Garde des Sceaux, cette somme est stockée chez l’État. Si la réforme passe, les notaires déposeront cet argent dans des banques privées.

Déplacer cette somme est-il possible ?
Tant qu’il existe un monopole avec des obligations strictes, non. Mais le jour où la profession est déréglementée, tout change. 22 milliards qui partent d’un coup, plus que provoquer une dénotation de la France, ce serait provoquer quelque chose de catastrophique. L’argent serait toujours en France mais ne permettrait plus à la Caisse des Dépôts et de la Consignation de payer ses prêts aux collectivités locales, comme c’est le cas aujourd’hui. Ce serait un black-out.

La profession est-elle réactive pour entreprendre des actions ?
Oui bien-sûr. Si l’on veut préparer une grève, il y en a pour cinq minutes Il suffit d’envoyer un mail « convocation de la chambre ce soir à 19 heures », et on y va. Les notaires se connaissent beaucoup entre eux. On a l’obligation de se rencontrer deux fois par an lors d’assemblées de niveau régional et départemental. Il y a un énorme sentiment de solidarité. Néanmoins, notre instance, qu’est le Conseil supérieur du Notariat, nous impose toujours de réagir avec modération. Son président, Jean Tarrade, rencontre chaque jours nos partenaires pour militer : députés, ministres, entreprises… Il nous transmet des directive via les chambres départementales. C’était le cas pour la fermeture générale des offices le 30 novembre. L’institution est très inquiète mais veut montrer que l’on est discipliné.

Êtes-vous satisfait de la mobilisation actuelle ?
Non, pas en tant que jeune notaire. On voudrait faire quelque chose mais on n’a pas les moyens de s’exprimer ni surtout d’être entendu. Le ministre de l’Économie, Emmanuel Macron, parle avec des représentants, puis dit le contraire dans les médias. Par exemple le 19 octobre, il s’exprime dans Le Figaro pour expliquer que la réforme permettrait à des milliers et milliers de notaires à s’installer. À quoi cela sert de discuter avec nos instances pour dire le contraire dans les médias ? Parallèlement pour se faire plus entendre, les notaires ne souhaitent pas faire des actes odieux ou qui touchent directement la population. Nous ne sommes pas des Femens…

Que faudrait-il faire de plus ?
Compte-tenu du double discours quotidien du gouvernement, il faudrait envoyer une première salve de mécontentement. Il suffirait par exemple que nos impôts donnés à l’État sur nos actes de ventes soient envoyés à la limite maximum des délais légaux. Nous avons normalement 30 jours pour les donner, cela représente au niveau national 2 milliards de flux. Au lieu que les notaires payent cet impôt dans les quelques jours qui suivent l’acte, comme c’est le cas aujourd’hui, il suffirait d’attendre au maximum afin de décaler ces 2 milliards. Une fois ce flux coupé, le gouvernement perdrait mécaniquement cette somme. Il existe plusieurs manœuvres de ce type.

Ces actions permettraient-elles d’influencer l’opinion ?
On ne cherche pas l’approbation du public même si on l’informe. Ce n’est qu’une première phase, la seconde est de bloquer l’État lui-même. Certaines partis de son administration sont très vulnérables. Aujourd’hui, si les notaires décidaient de travailler avec le papier, l’État ne pourrait plus suivre : il n’y aurait plus personne derrière pour traiter l’information.

Propos recueillis par Yonathan Van der Voort