Dans son nouveau film sorti mercredi dernier sur les écrans français, Terrence Malick retranscrit la quête à la fois professionnelle et spirituelle du jeune scénariste Rick dans le monde tumultueux d’Hollywood.

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Une vie d’errance

L’œuvre s’ouvre sur une fable : un jeune prince s’éloigne de son royaume pour rechercher une perle. Pendant son périple, il boit un breuvage empoisonnée qui lui fait oublier son identité et son destin de futur roi. A partir de ce moment, sa vie n’est plus qu’une errance sans fin. Cette histoire fait écho à la situation d’entre-deux vécue par Rick. Ce scénariste à succès est adulé et convoité par les professionnels du cinéma. Rick est chouchouté par L.A mais vagabonde nonchalamment, perdu dans ses tourments intérieurs.

La figure du Roi des coupes apparaît rapidement dans le récit et offre une clé de compréhension du héros – à condition de connaître ses cartes de tarot. Ce personnage est instable, tout comme Rick et le jeune prince. Son intérêt tant sur les plans professionnel que sentimental est très inconstant ce qui le rend particulièrement volatil. Tout au long du film Rick personnifie ce roi et demeure insatiable. Son incertitude le conduit à trouver refuge dans la compagnie des femmes et fait de lui un amant attentif mais inconstant. Ce héros fuit devant l’habitude et se réconforte dans le monde suranné d’Hollywood.

Avec Knight of Cups, Malick a quitté le monde tranquille des pavillons américains de Tree of Life pour s’attaquer au monstre urbain qu’est Los Angeles. Le film est découpé en différents chapitres aux noms mystiques (« La Papesse », « La Mort », etc.) qui ne lui donnent qu’une structure apparente. Dans tous ces chapitres défilent les mêmes décors qui symbolisent la métropole et ses excès. Les plans s’enchaînent avec frénésie et cadrent des buildings indécents. Le réalisateur multiplie les angles de vue, faisant danser sa caméra autour des bâtiments et des hommes qui symbolisent cette effervescence constante. La scène de la villa éclaire ce monde d’apparences et de luxe. Antonio Banderas se fait le guide mutin de cette célébration de la démesure. Les invités s’offrent aux regards mais non pas à l’envie. La superficialité de leurs mots et attitudes reflètent le vide de leur existence. C’est à travers le regard de Rick que le spectateur peut parcourir ce microcosme interdit au « commun des mortels ». Toutefois, c’est comme si le héros s’absentait et n’était que transporté par les événements, témoin passif de sa propre vie. Cette constante frénésie est alarmante et révèle le vide existentiel du héros et de son entourage. La Papesse, strip-teaseuse et amante du héros résume cette triste vérité en ces mots : « La réalité n’intéresse plus personne ». Comme si la réalité était devenue trop fade et se devait d’être plus lumineuse, plus grandiose, légitimant cette course effrénée à l’excès. Rick se place en retrait face à cette folie et semble se tourner vers des expériences « plus nobles ».

Famille et amour, deux piliers fondateurs

La famille est à la fois un refuge et une prison pour Rick. Son frère Barry est un personnage torturé et violent qui lutte contre lui-même mais aussi ceux qui l’entourent. Il fait l’objet de l’attention de son frère qui contient sa rage et l’aime malgré ses tourments. Cependant, cet amour fraternel est complexe et s’imbrique à une haine puissante qui les pousse l’un contre l’autre dans une lutte perpétuelle. Les deux frères sont également liés dans un combat constant contre leur père. Cette figure paternelle puissante et détestée fait écho à The Tree of Life. Là encore, le père représente l’égocentrisme et une violence à la fois mentale et physique. Alors qu’il se veut être un exemple pour ses fils et tente maladroitement de leur inculquer ses expériences à coup de sermons et de brimades, le vieillard représente surtout un repoussoir, un modèle à ne pas reproduire. Loin de symboliser un refuge, la cellule familiale est plutôt un nid à conflits que Rick s’efforce de fuir même si il semble irrémédiablement attiré par elle.

Tout comme le Roi des coupes, Nick se réconforte dans la compagnie des femmes. Différentes créatures peuplent son existence, élevées sous son regard au rang de déesses. Natalie Portman, Cate Blanchett ou encore Freida Pinto deviennent ainsi objets de fascination. Extirpées du hommes ordinaires elles tiennent une place de premier plan dans l’œuvre. Cette distinction est à la fois honorifique et sexiste. Ces femmes sont toutes magnifiées sous les yeux de Rick et du spectateur. Une grâce et une puissante aura les entourent, les rendant insaisissables et mystiques. Toutefois, cette distance conservée dans chaque idylle ne permet pas de creuser plus profondément ces personnages et nous laisse un goût d’inachevé. Seule leur beauté féminine demeure ainsi qu’une certaine fragilité, une faille qui semble toutes les habiter. Ces déesses gravitent autour de Rick et s’intéressent à lui, souhaitant le sauver de la torpeur dans laquelle il est constamment plongé. Après s’être heurtées au mystère auquel il donne corps, elles sombrent tour à tour dans le néant, au gré des envies du héros. Leurs interrogations soulignent encore une fois son caractère instable et renforcent cette idée de narrateur « si silencieux » et passif.

Passager mais non passeur de sens.

Tout au long du film Rick demeure silencieux, il représente un pilier sur lequel s’appuient les autres personnages et auprès duquel ils déversent leurs doutes et désirs. Thérapeute, le Roi des coupes est impassible et hors d’atteinte. Il se réfugie dans une « expérience de l’amour » sans se laisser aller à l’abandon. Ses nombreux vagabondages lui offrent un échappatoire face aux pressions sociales et amoureuses exercées dans son milieu. La nature et plus particulièrement l’océan représentent un refuge pour le héros. Ces images sauvages mais aussi urbaines s’entremêlent dans une mise en scène décousue et souvent incompréhensible. Différentes techniques peuplent le film : les plans tournées en format amateur illustrent un retour aux origines de l’homme avec des scènes d’enfance et de jeux ; tandis que des plans en steadycam suivent avec virtuosité les errances du héros. Cette succession de plans d’origines et de natures diverses est accompagnée d’une musique classique grandiose qui suscite l’émotion mélancolique du spectateur. Cet amas d’informations ne semble suivre aucun fil directeur et perd progressivement l’attention et la patience de son auditoire.

Christian Bale ne semble souvent offrir qu’une simple enveloppe charnelle chargée de porter le regard du public. Ce choix du réalisateur semble inviter le spectateur à collaborer à l’œuvre à travers sa propre interprétation. Cependant, l’intrigue est trop pauvre et frustre le public de par le manque de contenu qu’elle reflète. Le film est tellement décousu qu’on en vient à douter de la richesse narrative de son scénario. De plus, son aspect contemplatif décourage le spectateur quant aux mots qu’il pourrait porter sur l’œuvre. Lorsqu’on aborde Knight of Cups c’est avec la peur d’user de termes trop simples pour juger d’un film s’offrant comme intellectuel et mystique. Son manque criant de sens le dérobe à l’interprétation.

Au mieux dans un état de transe, au pire dans celui d’un profond ennui, le spectateur ne ressort de cette expérience singulière qu’avec peu de matière à exploiter.

Camille Muller