Editorial – Les politiques et les médias cherchent souvent à nous présenter un monde binaire, un monde où il existerait une démarcation claire entre le « vrai » et le « faux », le « bien » et le « mal », les « bons » et les « méchants »… La réalité est pourtant souvent bien plus complexe.

François Hollande et Barack Obama semblent temporiser et hésiter. (Photo: Pablo Martinez Monsivais/Licence CC)

François Hollande et Barack Obama veulent une « réaction internationale forte » face au régime syrien. (Photo: Pablo Martinez Monsivais/Licence CC)

C’est la question qui divise tant l’opinion publique du pays – si tant est qu’une telle chose que « l’opinion publique » puisse exister – que le monde : faut-il intervenir en Syrie ?

 

Il existe de bonnes raisons d’intervenir en Syrie…

A première vue, la question ne se pose pas. Des armes chimiques ont été utilisées ? La ligne rouge a été dépassée, on intervient! Il faut « punir » Bachar el-Assad, lui montrer qu’il y a certaines limites qu’il faut respecter – faisons abstraction du fait qu’il y ait eu bien plus de morts en Syrie par le biais d’armes dites conventionnelles sans qu’on ait daigné réagir par plus que quelques déclarations. Il en va de la grandeur, du prestige, de l’influence des puissances occidentales, et avant tout des États-Unis.

De tels arguments sont recevables. On peut difficilement accepter de rester les bras croisés, simples spectateurs, pendant qu’un peuple s’entredéchire, pendant qu’un dirigeant autoritaire réprime dans le sang des aspirations démocratiques – certes manipulées. L’utilisation d’armes chimiques est abominable et inexcusable, comme le sont tout autant les centaines de milliers de morts du conflit syrien.

 

… mais aussi de bonnes raisons de ne pas le faire.

Il existe toutefois des arguments contre l’intervention qui sont tout aussi recevables.

Si seuls les plus sensationnalistes peuvent prétendre croire à la possibilité d’un embrasement mondial du conflit, il est plus que réaliste de craindre qu’une intervention en Syrie pourrait déstabiliser gravement et durablement une région dont l’instabilité atteint déjà un niveau de dangerosité inégalé dans toute autre région du globe. Le risque de voir le conflit s’étendre au Liban est bien réel.

Certains redoutent aussi de voir une arrivée au pouvoir des terroristes islamistes, ceux-là même qui hier encore étaient perçus comme les principaux ennemis des pays occidentaux. Échaudés par le chaos régnant encore en Libye ou en Égypte, ils arrivent difficilement à prendre le risque de voir une dictature autoritaire remplacée par une autre dictature fondée elle sur un extrémisme se réclamant d’une religion. Le fait même que des terroristes islamistes se mêlent aux « bons » rebelles syriens est la raison pour laquelle les pays occidentaux refusent d’assumer des livraisons d’armes officielles aux troupes combattant Bachar el-Assad.

 

Le difficile rapport aux preuves

D’autres opposants à toute intervention en Syrie – qui n’ont pas oublié l’épisode irakien – évoquent le manque de preuves fiables d’une utilisation par le régime d’armes chimiques, demandent à avoir des conclusions de la mission d’enquête de l’ONU. Les preuves qui ont été rendues publiques proviennent de témoignages et de sources partiales – ce qui ne veut pas pour autant dire qu’elles sont forcément fausses, mais simplement qu’elles doivent être traitées avec beaucoup de prudence. L’argument affirmant que Bachar el-Assad n’a aucun intérêt stratégique à utiliser de telles armes semble aussi recevable, bien qu’il ne constitue en rien une preuve permettant de le disculper.

Ceci étant dit, si les gouvernements occidentaux détiennent les preuves incontestables d’une utilisation par le régime d’armes chimiques, il est normal que le pouvoir exécutif ordonne une intervention. Les citoyens et les parlementaires n’ont pas accès – à juste raison – à toutes les informations dont disposent les services de renseignement. Une démocratie implique une certaine forme de confiance dans le pouvoir exécutif, qui peut certes décevoir mais qui est élu à la majorité pour prendre de telles décisions extrêmement difficiles.

 

Il est des moments où il y a une forme de simplicité lâche à se cantonner au rôle de commentateur, de ne pas avoir à prendre une décision mettant en jeu des centaines de milliers de vies, voire la stabilité durable de toute une région. La réflexion autours de la mise en place ou non d’une intervention en Syrie en est une.

La situation est bien plus compliquée qu’un affrontement entre les « gentils » et les « méchants » et il est difficile – au vu des éléments dont nous disposons – d’affirmer  avec certitude s’il faut ou non intervenir dans le conflit syrien.

 

David Bolton